Race et civilisation

« Devant l’insuffisance de ces éléments d’explication (ndr: sur la décadence des civilisations), on défend parfois l’idée de race. L’unité et la pureté du sang seraient au fondement de la vie et de la force d’une civilisation ; le mélange du sang serait la cause initiale de sa décadence. Mais il s’agit, la encore, d’une illusion : une illusion qui rabaisse en outre l’idée de civilisation sur le plan naturaliste et biologique, puisque tel est le plan où l’on envisage aujourd’hui, plus ou moins, la race. La race, le sang, la pureté héréditaire du sang sont une simple « matière ». Une civilisation au sens vrai, c’est-à-dire une civilisation traditionnelle, ne naît que lorsqu’agit sur cette matière une force d’ordre supérieur, surnaturelle et non plus naturelle : une force à laquelle correspondent précisément une fonction « pontificale », la composante du rite, le principe de la spiritualité comme base de la différenciation hiérarchique. A l’origine de toute civilisation véritable, il y a un phénomène « divin » (chaque grande civilisation a connu le mythe de fondateurs divins) : c’est pourquoi aucun facteur humain ou naturaliste ne pourra jamais rendre vraiment compte d’elle. C’est à un fait du même ordre, mais en sens opposé, de dégénérescence, qu’on doit l’altération et le déclin des civilisations. Lorsqu’une race a perdu le contact avec ce qui seul possède et peut donner la stabilité, avec le monde de 1?« être » ; lorsque, en elle, ce qui en est l’élément le plus subtil mais, en même temps, le plus essentiel, à savoir la race intérieure, la race de l’esprit, a connu une déchéance (la race du corps et celle de l’âme n’étant que des manifestations et des moyens d’expression de la race de l’esprit*) -, les organismes collectifs qu’elle a formés, quelles que soient leur grandeur et leur puissance, descendent fatalement dans le monde de la contingence : ils sont alors à la merci de l’irrationnel, du changeant, de l’« historique », de ce qui reçoit ses conditions du bas et de l’extérieur.

Le sang, la pureté ethnique, sont des facteurs dont l’importance est également reconnue dans les civilisations traditionnelles. Mais cette importance n’est pas telle qu’elle permettrait d’appliquer aux hommes les critères en vertu desquels le « sang pur » décide de manière péremptoire pour les qualités d’un chien ou d’un cheval – ce qu’ont fait, à peu de choses près, certaines idéologies racistes modernes. Le facteur « sang » ou « race » a son importance, parce qu’il ne relève pas du « psychologique » – du cerveau ou des opinions de l’individu -, mais réside dans les forces de vie les plus profondes, celles sur lesquelles les traditions agissent en tant qu’énergies formatrices typiques. Le sang enregistre les effets de cette action et offre par conséquent, à travers l’hérédité, une matière déjà affinée et préformée, telle que, tout au long des générations, des réalisations semblables à celles des origines soient préparées et puissent s’y développer de manière naturelle, quasi spontanée. C’est sur cette base et sur elle seulement – que le monde traditionnel, nous le verrons, institua souvent le caractère héréditaire des castes et voulut la loi endogamique. Mais si l’on prend précisément la tradition où le régime des castes fut le plus rigoureux, à savoir dans la société indo-aryenne, le seul fait de la naissance, bien que nécessaire, n’apparaissait pas suffisant : il fallait que la qualité virtuellement conférée par la naissance fût actualisée par l’initiation, et nous avons déjà rappelé que le Mânavadharmaçâstra en arrive à affirmer que, tant qu’il n’est pas passé par l’initiation ou « seconde naissance », l’ârya lui-même n’est pas supérieur au çûdra ; trois différenciations spéciales du feu divin servaient d’âme aux trois pishtra iraniens hiérarchiquement les plus élevés, l’appartenance définitive à ces pishtra étant pareillement sanctionnée par l’initiation ; etc. Ainsi, dans ces cas également il ne faut pas perdre de vue la dualité des facteurs, il ne faut jamais confondre l’élément formateur avec l’élément formé, la condition avec le conditionné. Les castes supérieures et les aristocraties traditionnelles, et, plus généralement, les civilisations et les races supérieures (celles qui, par rapport aux autres races, se tiennent dans la même position que les castes consacrées face aux castes plébéiennes, aux « fils de la Terre »), ne s’expliquent pas par le sang, mais à travers le sang, grâce à quelque chose qui va au-delà du sang et qui présente un caractère métabiologique.

Et lorsque ce « quelque chose », est vraiment puissant, lorsqu’il constitue le noyau le plus profond et le plus solide d’une société traditionnelle, alors une civilisation peut se maintenir et se réaffirmer même face à des mélanges et altérations typiques, pourvu que ceux-ci n’aient pas un caractère ouvertement destructeur. Il peut même y avoir réaction sur des éléments hétérogènes, ceux-ci étant formés, réduits peu à peu au type propre ou re-greffés à titre, pour ainsi dire, de nouvelle unité explosive. Des exemples de ce genre ne manquent pas dans les temps historiques : Chine, Grèce, Rome, Islam. Le déclin d’une civilisation ne commence que lorsque sa racine génératrice d’en haut n’est plus vivante, que lorsque sa « race de l’esprit » est prostrée ou brisée – parallèlement à sa sécularisation et à son humanisation**. Quand elle est réduite à cela les seules forces sur lesquelles peut encore compter une civilisation, sont celles d’un sang qui porte en soi ataviquement, par race et instinct, l’écho et l’empreinte de l’élément supérieur désormais disparu. Ce n’est que dans cette optique que la thèse « raciste » de la défense de la pureté du sang peut avoir une raison d’être – sinon pour empêcher, du moins pour retarder l’issue fatale du procès de dégénérescence. Mais prévenir vraiment cette issue est impossible sans un réveil intérieur. »

Julius Evola, « Révolte contre le monde moderne », Vie et mort des civilisations.

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* Sur l’idée intégrale de la race et sur les relations entre race du corps, race de l’âme et race de l’esprit, cf. notre ouvrage « Synthèse de doctrine de la race ».
** On peut ici prendre en considération la thèse de A.J. Toynbee (A Study of History, 1941), selon laquelle, à de rares exceptions près, il n’y a pas de civilisations qui ont été tuées, mais seulement des civilisations qui se sont suicidées. Partout où la force intérieure subsiste et n’abdique pas, difficultés, dangers, environnement hostile, agressions et même invasions finissent par servir de stimulus, de défi qui oblige cette force à réagir de manière créatrice. Toynbee n’hésite pas à voir la, en règle générale, la condition de l’affirmation et du développement des cultures.

La responsabilité

« Nous avons dénoncé la décadence de la femme moderne ; mais il ne faut pas oublier que le premier responsable de cette décadence, c’est l’homme. De même que la plèbe n’aurait jamais pu se répandre dans tous les domaines de la vie sociale et de la civilisation s’il y avait eu de vrais rois et de vrais aristocrates, ainsi dans une société gouvernée par des hommes vraiment virils, jamais la femme n’aurait voulu ni pu emprunter la voie sur laquelle elle chemine de nos jours. Les périodes où la femme a accédé à l’autonomie, où elle a exercé un rôle prédominant, ont toujours coïncider, dans les cultures antiques, avec des époques d’incontestable décadence. Aussi la vraie réaction contre le féminisme et contre toute autre déviation féminine ne devrait-elle pas s’en prendre à la femme, mais à l’homme. On ne peut pas demander à la femme de revenir à ce qu’elle fut, au point de rétablir les conditions intérieures et extérieures nécessaires à la renaissance d’une race supérieure, si l’homme ne connaît plus qu’un simulacre de virilité. »

Julius Evola, Révolte contre le monde moderne, « Le déclin des races supérieures ».

Le Racisme comme dépassement

« Lorsqu’on parle de « racisme », la plupart des gens ne pensent à rien d’autre qu’à l’antisémitisme ou bien au simple domaine anthropologique et biologique. Seuls quelques-uns ont une idée de la signification qu’une telle doctrine peut avoir du point de vue pratique et pédagogique – pour ne pas parler de son importance politique. Ici, toutefois, nous n’en dirons pas davantage qu’il n’est nécessaire pour la compréhension des idées que ce chapitre traite.

Il convient avant tout de noter que, dans le racisme moderne, la race n’est pas abordée dans le cadre de ces considérations générales selon lesquelles on parle, dans les manuels scolaires, de race blanche, jaune, noire et ainsi de suite. Bien au contraire, la race doit être conçue comme une unité plus élémentaire et plus « spécialisée » où, à l’intérieur de la race blanche – pour nous limiter à elle – et, par conséquent, de tous les peuples de race blanche, l’on considère que sont présentes et qu’agissent diverses races. En outre, ces races élémentaires sont définies en termes non seulement biologiques et anthropologiques, mais également psychologiques et spirituels. A chacune des composantes raciales correspondent des dispositions, des formes de sensibilité, des valeurs et des conceptions de l’existence elles-mêmes différenciées. (1)

Il n’existe pas, de nos jours, de nations ou de peuples civilisés composés d’individus purs d’une race unique. Tous les peuples sont désormais composés de mélanges, plus ou moins stables, de races. On passe du domaine de la théorie à celui de la pratique, au « racisme actif », lorsque l’on prend position en face des composantes raciales d’une nation donnée en ne leur reconnaissant pas indistinctement la même valeur, la même dignité et, surtout, le même droit à donner à l’ensemble un ton et une forme. A ce moment-là, un choix, une discrimination et une décision s’imposent : on donnera à l’une des composantes la prééminence en se référant aux valeurs typiques et à l’idéal humain qui y correspondent.

En ce qui concerne l’ensemble des peuples germaniques, on a été amené à attribuer à l’élément « nordique » ce rôle de race éminente par rapport aux autres auxquelles il était mêlé. Si l’on considère maintenant l’Italie, ce même rôle de force prééminente ayant un droit sur le reste fut attribué à l’élément « romain ».

A ce propos, nous pouvons reprendre ce que nous disions tout à l’heure.

A titre de prémisse, il faut absolument dépasser la frivole suffisance d’un certain nationalisme, selon lequel le simple fait d’avoir une même patrie et une même histoire derrière soi constituerait l’ultime critère : d’où cette habitude d’exalter sans discrimination et à n’importe quel prix tout ce qui est « nôtre ». En fait, comme dans toute grande nation historique – et l’Italie n’échappe pas à la règle -, en dépit d’une certaine uniformité du type courant, diverses composantes existent. Aussi est-il capital de ne se créer aucune illusion mais de reconnaître avec objectivité ce qui, tout en étant « nôtre », ne correspond guère à une vocation d’ordre supérieur. On le voit, c’est là une contrepartie à ce que nous avons appelé, dans le domaine politico-culturel, le « choix des traditions » (chap. VIII).

La création d’un Etat nouveau et d’une nouvelle civilisation sera toujours quelque chose d’éphémère tant que l’un et l’autre n’auront pas, à la base, un homme nouveau. Dans le cas de l’Italie, si ce problème devait être envisagé par un mouvement révolutionnaire-conservateur, la définition d’un tel type d’homme s’avèrerait difficile, et même problématique, en raison de la présence de composantes ethniques suspectes, d’inclinations chaotiques et anarchiques, de tares caractérielles, d’atavismes peu favorables et de vocations faussées.

Après cette mise au point quant au mythe de la latinité, il convient de porter maintenant notre attention sur un autre point, moins intellectuel toutefois et plus concret que la soi-disant « commune civilisation latine » : il s’agit de ce que l’on peut appeler l’élément « méditerranéen ». L’Italien oscille entre deux extrêmes constitués l’un par l’élément « romain », l’autre par l’élément « méditerranéen » : il s’agit de la limite supérieure et de la limite inférieure des possibilités que, d’une façon générale, il recèle en lui, et d’un héritage qui lui a été transmis à travers les siècles. Parvenir à une décision interne, favoriser une cristallisation et une formation de plus en plus nette dans la direction du premier de ces deux éléments : tel serait donc l’objectif à atteindre sur le plan tant individuel que collectif et politique. Cet objectif suppose une double analyse. D’un côté, il conviendrait de mettre clairement en lumière les traits de caractère et de style qui, indépendamment de toute forme d’expression liée au passé, peuvent être considérés comme typiques de la composante « romaine ». De l’autre, il faudrait préciser quelles sont les qualités les moins désirables du type « méditerranéen », elles aussi présentes (pour ne pas dire prédominantes) dans le complexe italien et voir, par conséquent, dans quelle mesure il est possible de les rectifier.

En ce qui concerne le premier point, on devrait être capable d’extraire de la romanité un contenu vivant, sans aucun rapport avec les encensements rhétoriques, les musées et les dissertations d’érudits, de façon à ce qu’il soit intelligible, même à un homme simple, sans faire appel à la « culture » et à l’histoire.

C’est la raison pour laquelle nous avons parlé d’« éléments de style » : il s’agit d’éléments à extraire de ce que l’on connaît de la tradition et des coutumes romaines, en sachant faire preuve de discrimination car – nous y avons déjà fait allusion en évoquant le monde dit classique – il y a romanité et romanité. A côté de la romanité des origines, qui exprime, sous une forme caractéristique et originale, un type de culture et de coutumes communes aux principales civilisations supérieures indo-européennes, il y en a une « hellénisée », au sens négatif du terme, il y en a une « punicisée », et d’autres encore : «cicéronienne », « asiatisée », « catholique », et ainsi de suite ! Ce n’est pas là que les points de référence doivent être cherchés, car ce qu’elles recèlent éventuellement de valable peut être, dans notre perspective, ramené à la première.

Cette romanité originelle eut pour base un type humain défini par un certain nombre de dispositions caractéristiques. Il convient, en premier lieu, de relever : un comportement maîtrisé ; une audace lucide ; un parler concis ; une action précise et cohérente autant que méditée ; un sens inné de l’autorité, étranger à toute vanité personnelle. Au style romain appartiennent la virtus, non pas au sens de la morale, mais de la virilité et du courage, c’est-à-dire comme fortitudo et constantia, la force d’âme ; la sapientia, au sens de réflexion et de savoir conscient ; la disciplina, de qui aime à se donner une loi et une forme propre ; la fides, au sens spécifiquement romain de loyauté et de fidélité ; la dignitas, laquelle, dans l’antique aristocratie patricienne, s’élevait jusqu’à la gravitas et à la solemnitas, à une solennité grave et mesurée (2). C’est également à ce même type qu’appartiennent : une action précise sans gesticulations ; un réalisme qui n’avait rien de matérialiste, mais signifiait l’amour de l’essentiel ; un idéal de clarté, qui ne devait se transformer en rationalisme que chez certains peuples latins ; un équilibre intérieur et une méfiance pour tout abandon de l’âme et tout mysticisme confus ; un amour de la limite ; une aptitude à s’unir sans se confondre en vue d’une fin supérieure ou pour une idée, comme des êtres libres. On pourrait y ajouter aussi la religio et la pietas, non pas au sens le plus récent de religiosité mais, chez le Romain, d’une attitude de vénération respectueuse et digne, et, en même temps, de confiance, de rattachement au suprasensible ressenti comme présent et agissant parmi les forces humaines individuelles, collectives et historiques. Bien évidemment, nous sommes loin de penser que de tels traits existaient chez tous les Romains – ils n’en constituaient pas moins, pour ainsi dire, la dominante : ils étaient la substance même de l’idéal que chacun ressentait comme spécifiquement « romain ».

Parallèlement, ces éléments de style ont un caractère d’évidence en eux-mêmes, ils ne sont pas liés au passé, ils peuvent à tout moment agir comme forces formatrices du caractère et valoir comme idéaux dès lors que se manifestent les vocations correspondantes. Ils ont une valeur normative et, dans la pire des hypothèses, de mesure. Par ailleurs, il n’y a pas lieu de penser qu’ils devraient être adoptés par tout un chacun : ce serait absurde et, du reste, ne répondrait à aucune nécessité. Il suffirait qu’une certaine catégorie d’individus, tenus de donner le ton aux autres à travers le pays, en soient la vivante incarnation.

Ceci posé, il convient de définir maintenant l’autre pôle, c’est-à-dire les éléments propres au style « méditerranéen ».

Au sens où nous l’employons, l’expression « méditerranéen » demande quelques éclaircissements. On a fréquemment parlé de civilisation, d’esprit, et même de race, méditerranéens, sans se préoccuper outre mesure de dire ce que l’on entendait exactement par de telles appellations, aussi vagues qu’élastiques (3). « Méditerranéen » désigne simplement un espace, une aire où se sont rencontrées, ou entrechoquées, des cultures, des forces spirituelles et raciales très différentes sans qu’elles se soient jamais fondues en une civilisation unique. Dans le domaine de l’anthropologie, le mythe « méditerranéen » fut lancé au siècle dernier par Giuseppe Sergi : celui-ci soutenait l’existence d’une race méditerranéenne d’origine africaine à laquelle auraient appartenu de nombreuses populations italiques mais également les Pélasges, les Phéniciens, les Levantins (4) et d’autres races semi-sémitiques : parentés peu flatteuses auxquelles convient parfaitement l’expression de « fraternités bâtardes » utilisée, jadis, par Mussolini à propos du mythe de la latinité. Cette théorie de Sergi est maintenant totalement dépassée. Nous avions nous-mêmes cru opportun d’utiliser le terme « méditerranéen » uniquement pour désigner certaines composantes ethniques et spirituelles suspectes, lesquelles, outre le fait qu’elles sont présentes dans d’autres peuples méditerranéens et « latins » plus ou moins mêlés, se retrouvent également dans de nombreuses strates du peuple italien, s’opposant au noyau originel et plus noble de celui-ci, lequel, reflet de l’élément « romain », n’a rien de « méditerranéen ».

Certains psychologues ont tenté de définir le type méditerranéen non pas tant du point de vue anthropologique qu’en termes de caractère et de style (5). Or, il n’est pas difficile de reconnaître, dans les descriptions qu’ils en ont faites, l’autre pôle de l’âme italienne – aspects négatifs que la substance italienne recèle aussi et qui, si l’on se consacrait au travail de sélection auquel nous faisions allusion, devraient être rectifiés en elle.

En premier lieu, est « méditerranéen » le goût de l’extériorité et de la gesticulation. Le type méditerranéen a besoin d’une scène, sinon au sens le plus inférieur de vanité et d’exhibitionnisme, du moins au sens que son engagement et son enthousiasme (même pour des choses nobles, dignes d’intérêt, sincères) procèdent souvent d’un rapport avec ceux qui le regardent, et la préoccupation de l’effet qu’il fera sur eux joue un rôle non négligeable dans sa conduite. D’où, précisément, cette inclination au « geste », c’est-à-dire à donner à son action des caractéristiques qui attirent l’attention sur elle et la mobilise – même quand celui qui agit sait pertinemment qu’il n’a que lui-même comme spectateur. Chez l’homme méditerranéen existe, par conséquent, un certain dédoublement entre un « Moi » qui exécute le rôle et un « Moi » qui le regarde du point de vue d’un spectateur ou d’un observateur éventuel, et s’y complaît : plus ou moins comme le fait l’acteur. (6)

Répétons-le : nous parlons uniquement ici du style – l’action ou l’œuvre entreprise pouvant avoir en elle-même une valeur effective. Or, c’est là un style bien peu romain : c’est le signe d’une décadence et d’une altération, c’est l’antithèse même de l’antique maxime de l’esse non haberi, du style en raison duquel on put, entre autres, appeler l’antique civilisation romaine : la civilisation des héros anonymes. Dans une perspective plus vaste, on pourrait formuler cette opposition de la façon suivante : le style romain est monumental, monolithique, alors que le style méditerranéen est chorégraphico-théâtral, spectaculaire (que l’on pense, en parallèle, aux concepts français de la grandeur et de la gloire).

C’est la raison pour laquelle, si cette composante méditerranéenne du peuple italien venait à être rectifiée, le meilleur modèle serait justement celui offert par l’antique race de Rome : ce style sobre, sévère, actif, étranger à tout exhibitionnisme, mesuré, fait d’une sereine conscience de sa propre dignité. Posséder le sens de ce que l’on est et de sa propre valeur indépendamment de toute référence extérieure ; aimer aussi bien la distance que les paroles et les actes qui se réduisent à l’essentiel, dénués de toute mise en scène et de tout souci de faire de l’effet – tous ces éléments sont absolument fondamentaux pour la formation éventuelle d’un type humain supérieur. Et si l’homme méditerranéen et l’individu italien ont en commun ce dédoublement (d’acteur et de spectateur) auquel nous faisions allusion, celui-ci pourrait être utilisé en vue d’une surveillance attentive de sa propre conduite et de ses propres expressions surveillance qui préviendrait toute réaction instantanée impulsive et étudierait l’expression elle-même, non pas en fonction de 1?« impression » produite sur les autres et de leur opinion, mais bien du style que l’on entend se donner à soi-même.

Le goût de l’extériorité s’associe facilement à un égotisme qui dégénère en individualisme. Il s’agit, là encore, d’un aspect négatif caractéristique de l’âme « méditerranéenne » : la tendance, précisément, à un individualisme fébrile, chaotique et indiscipliné. Sur le plan politique, il s’agit de la tendance qui, prenant le dessus, conduisit à la ruine les états-cités de la Grèce en fomentant luttes et rivalités fratricides – tout en ayant jadis contribué positivement à leur formation nettement articulée.

C’est elle que nous retrouvons pendant la période trouble du Bas-Empire ; elle aussi, enfin, qui se manifesta dans l’Italie médiévale sous forme de particularismes, schismes, luttes, factions et rivalités en tous genres. Et si la Renaissance italienne brille, sous certains aspects, de tous ses feux, elle a aussi ses zones d’ombre qui procèdent précisément de cet individualisme « méditerranéen », rétif à toute loi et à tout ordre sévère, gaspillant des possibilités souvent précieuses en des positions purement personnelles et dans les feux d’artifice d’une créativité dissociée de toute signification supérieure comme de toute tradition. Ici, c’est l’auteur, plus que l’œuvre, qui occupe la position centrale.

C’est ainsi que, si nous descendons d’un cran, la même composante « méditerranéenne » se retrouve dans le type contemporain de l’individu soi-disant génial : celui qui critique pour le plaisir, toujours prêt à affirmer une thèse et son contraire afin de se mettre en vedette, expert à trouver un moyen pour tourner un obstacle ou se soustraire à une loi. Si l’on descend encore d’un cran, cela devient la malice, la fourberie (l’aptitude à « rouler » l’autre) qui, pour ce type humain, sont quasiment synonymes d’intelligence et de supériorité – alors que l’homme de type « romain » ressentirait cela comme une dégradation, une perte de sa propre dignité. Nous avions déjà évoqué ceci à propos de l’épisode relatif à la légende de Faust.

A la simplicité ou sobriété « romaine » de la parole, de l’expression et du geste, s’opposent l’exubérance gesticulatoire, bruyante et désordonnée du type « méditerranéen », sa manie de la communicativité et de l’expansivité, son peu de sens de la distance, de la hiérarchie et de la subordination sans phrases. Comme contrepartie de tels traits caractéristiques, on a souvent une pauvreté du caractère, une disposition à s’enflammer, à se saoûler – et à saoûler les autres – de simples mots, un « espagnolisme » au pire sens du terme : verbosité, sens ostentatoire et convenu de l’honneur, susceptibilité, souci des apparences sans grand contenu. Alors que ce que l’on a pu dire à propos de l’antique type aristocratique espagnol : pobre en palabras pero en obras largo (« pauvre de paroles mais riche d’actions », à rapprocher de la maxime de Moltke : «Parler peu ; faire beaucoup ; être, plus que paraître »), se situe dans le droit fil du style « romain ».

Avec ce que L.F. Clauss a appelé la « race désertique » dans sa classification psycho-anthropologique (et, sans doute, comme effet de la présence en lui d’une telle race) l’homme « méditerranéen » a souvent en commun un tempérament aussi violent et explosif que changeant et lié à l’instant : des coups de tête, une instantanéité et une véhémence du désir ou de l’affectivité dans sa vie passionnelle ; des intuitions sans lendemain dans le domaine intellectuel. Un style psychiquement équilibré et mesuré n’est pas son fort. Alors qu’en apparence, surtout lorsqu’il est en compagnie, il semble joyeux, enthousiaste et optimiste, lorsqu’il est seul l’homme « méditerranéen » est en réalité sujet à des abattements imprévus, il découvre en son for intérieur des perspectives sombres et désespérées qui lui font fuir avec angoisse la solitude et le poussent à nouveau vers l’extériorisation, vers une sociabilité bruyante, vers les effusions et le passionnel.

Une fois ces constatations faites, il est bien évident que, dans l’hypothèse d’une tentative de rectification, il ne suffirait pas de procéder par simples antithèses. La phrase de Nietzsche, « Je mesure la valeur d’un homme à sa capacité de retarder ses propres réactions », peut certes servir de principe général pour combattre l’impulsivité désordonnée et la tendance à « exploser ». Mais Nietzsche lui-même a mis en garde contre une morale qui viserait à dessécher ainsi qu’à rigidifier toute impétuosité de l’âme. La capacité de se contrôler, la continuité dans les sentiments et dans la volonté ne doivent pas conduire à un desséchement et à une mécanisation de l’être – tels qu’ils apparaissent dans certains aspects négatifs de l’homme d’Europe Centrale ou de l’anglo-saxon. Il n’est pas question de supprimer la capacité de se passionner, de donner à l’âme une forme qui soit belle, contrôlée et homogène, mais plate ! Il s’agit, au contraire, d’organiser d’une façon intégrale son propre être, c’est-à-dire d’être capable de reconnaître, de faire un choix et d’utiliser de façon adéquate les élans et les éclairs qui jaillissent du plus profond. Que la passion joue un rôle prépondérant chez de nombreux types italiens « méditerranéens », c’est là un fait incontestable, mais cette disposition peut se révéler non pas comme un défaut mais comme un enrichissement, si elle est corrigée par une vie organisée sur des bases saines.

Le sentimentalisme est, lui, un élément plus nettement négatif chez le type « méditerranéen ». Il convient de distinguer ici le sentimentalisme du sentiment vrai, le premier étant une sclérose rhétorique du second, mais c’est justement le premier qui joue un rôle prépondérant dans de nombreuses expressions typiques de l’âme « méditerranéenne ». Comme exemple, on pourrait citer toute une liste de chansons à l’eau de rose d’hier et d’aujourd’hui : le succès et l’écho qu’elles rencontrent dans l’âme populaire, en dépit de tout ce qu’elles contiennent de profondément artificiel, sont éloquents.

On a prétendu que l’homme « méditerranéen » serait enclin à s’ériger en son propre défenseur, exactement comme l’homme « nordique » serait au contraire porté à s’ériger en son propre juge. Le premier serait toujours plus indulgent avec lui-même qu’avec les autres et incapable d’examiner d’une façon claire et objective les coulisses de sa vie intérieure. Cette antithèse est quelque peu unilatérale. D’une façon générale, il n’est pas besoin de souligner les dangers inhérents à une introspection maladive – nous pensons ici à la parenté qui relie la psychanalyse et la psychologie des héros dostoïevskiens à certains complexes de culpabilité ou d’angoisse existentielle. Un style de sincérité et de simplicité, surtout vis-à-vis de sa propre intériorité, n’en est pas moins essentiel dans le cas d’un type humain supérieur, comme ne l’est pas moins le précepte d’être sévère avec soi-même mais compréhensif et cordial avec les autres. A cet égard, si des corrélations spécifiques avec le facteur racial subsistent, ce n’est que partiellement.

Ce qu’il convient de considérer, c’est plutôt l’importance que revêtent, pour le style « méditerranéen », les affaires du sexe.

La sexualisation de la morale, d’une part, et le fait que la femme et l’érotisme soient quasiment devenus des idées fixes, d’autre part, ne doivent certes pas être considérés comme une exclusivité méditerranéenne – le deuxième point devant plutôt être envisagé comme un phénomène général inhérent à toute civilisation dégénérescente. Toutefois, on ne peut pas nier les résultats d’une telle inclination sur le type « méditerranéen » et « méditerranéo-méridional » par opposition à tout ce qui relève de l’éthique « romaine » dans ce qu’elle eut de meilleur, éthique qui donna à la femme et à l’amour en général leur juste place ni trop en haut, ni trop en bas – et sut montrer en exemple les valeurs réellement fondamentales, nécessaires à une éducation claire et virile du caractère et de l’existence, sans moralisme puritain (7). D’une façon générale, les relations entre les sexes sont loin de se présenter en Italie d’une façon satisfaisante. « Tempérament » méridional, avec son primitivisme et son type au goût du jour du latin lover, d’une part ; subsistance d’un régime de préjugés bourgeois dont procèdent hypocrisies, inhibitions, conventionalismes et, parallèlement, une certaine perversion de quatre sous typiquement contemporaine, d’autre part – tout cela est bien éloigné d’une attitude claire, sincère, libre et courageuse. Mais ce thème demanderait un chapitre particulier dont ce n’est pas ici le lieu (8) car il est lié à des problèmes d’ordre plus général que celui de la simple caractérologie « méditerranéenne ».

Il est bon de répéter, une fois l’opposition entre ces deux éléments de style brièvement esquissée, qu’il s’agit là de deux lignes de démarcation. Les qualités de type « romain » représentent la limite positive de dispositions latentes qui existent chez les meilleurs éléments de notre race, tout comme les qualités définies comme « méditerranéennes » correspondent à la limite négative et à sa part la moins noble – lesquelles se retrouvent également dans les composantes d’autres peuples, surtout du groupe « latin ».

C’est pourquoi il faut prendre conscience sans se voiler la face que si, trop souvent, on a considéré comme typiquement italiens (surtout à l’étranger) des comportements proches de la « limite méditerranéenne », c’est précisément cette composante qui semble désormais prédominer, depuis la Seconde Guerre mondiale, dans la vie italienne en général.

Mais une démarche dans une direction contraire ne serait pas inconcevable si certaines conditions se trouvaient réunies. De toute façon, nous avons vu que cela seul pouvait constituer la prémisse d’un Etat nouveau et d’une société nouvelle – étant hors de doute que tout programme, formule ou institution, quels qu’ils soient, ne servent pas à grand-chose tant que n’y correspond pas, au moins chez une élite dirigeante, une substance humaine donnée. Chez tout homme sont en même temps présentes, aujourd’hui, en principe, diverses possibilités dont certaines proviennent d’un héritage primordial. Tandis que c’est dans les heures les plus hautes de notre histoire que nous reconnaissons la composante aryo-romaine, dans les périodes de crise et d’obscurcissement on peut, au contraire, distinguer la résurgence et la primauté de celle que nous avons conventionnellement qualifiée de « méditerranéenne ». Conventionnellement car, au fond, il s’agit plutôt soit de scories et de résidus « méditerranéens », d’influences de races non indo-européennes quasiment privées d’histoire, soit du produit de scléroses et d’« érosions» ethniques.

Dans une œuvre de rectification et de formation, le rôle fondamental sera toujours joué par le mythe politique, au sens sorélien d’idée-force galvanisante. Le mythe réagit sur l’ambiance générale en faisant intervenir la loi des affinités électives : il éveille, libère et met en valeur les possibilités individuelles et celles du milieu qui y correspondent, tandis que les autres sont réduites au silence ou neutralisées. La sélection peut s’effectuer également à rebours, en fonction de la nature du mythe. C’est ainsi que le mythe communiste – et, jadis, le mythe démocratique – ont pu faire appel à ce qu’il y a de plus hybride et de plus dégradé dans l’homme d’aujourd’hui et que c’est à la mobilisation d’un tel type humain (en inhibant chez lui toute autre possibilité et sensibilité supérieures) que, politiquement, ils doivent leurs succès.

Si l’on s’attelait à une telle œuvre de rectification, il va de soi qu’il ne faudrait pas en attendre des résultats concrets du jour au lendemain. Outre la condition à laquelle nous avons fait allusion (constituée par la présence d’un mythe politique capable de donner naissance à un climat et à un type humain bien déterminés), une action continue et de longue haleine serait nécessaire, plus forte que les rechutes et que l’éventuelle résurgence des possibilités contraires. Comme chacun sait, on a tenté hier, en Italie, d’agir en ce sens, l’exigence la plus sérieuse (dont seule une minorité avait saisi l’importance) consistant précisément à ramener toujours davantage une Italie « méditerranéenne » vers une Italie « romaine ». Si l’on ne s’était pas limité au simple domaine des intérêts politiques, l’adéquate et complémentaire contrepartie de tout ceci aurait pu être le détachement des « sœurs latines » qui, de pair avec un rapprochement du peuple allemand, s’était amorcé.

Il va sans dire qu’étant donné le climat actuel de l’Italie, avec sa vision démocratique étriquée et son intoxication marxiste, proposer, aujourd’hui, à nouveau une telle tâche serait purement utopique. Ceci n’enlève évidemment rien à sa valeur intrinsèque et normative comme à celle d’autres idées, elles aussi « inactuelles » – inactualité qui ne disparaîtra qu’à la faveur d’une fracture et d’une réaction radicale, lesquelles se manifestent assez fréquemment en termes quasiment organiques en marge de processus de dissolution. »

Julius Evola, « Les hommes au milieu des ruines », Latinité – Romanité – Âme méditerranéenne, (II).

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Notes :
1. Nous avons nous-mêmes contribué au développement, dans cette direction, d’une doctrine de la race qui ne se limite pas au seul facteur biologique en faisant valoir, au-delà de la race physique, les concepts de « races de l’âme » et de « races de l’esprit ». Cf. Sintesi di dottrina della razza, Hœpli, Milan, 1941. C’est dans la même direction qu’en Allemagne un L.F. Clauss a surtout orienté ses recherches.
2. Tels sont les éléments de style mis en évidence par H.F.K. Günther, Lebensgeschichte des romischen Volkes, Piihl, 1957.
3. Dans l’un de nos premiers essais (Imperialismo pagano;’ Atanor, Todi, Rome, 1928) nous avons nous-mêmes parlé de « tradition méditerranéenne ». Ce que nous entendions exactement par là devait être précisé dans nos ouvrages postérieurs, tout particulièrement dans Révolte contre le monde moderne. Dans l’édition allemande de ce livre, déjà, cette appellation avait disparu.
4. A propos de mythes erronés, on peut rappeler que Gioberti s’était laissé aller à soutenir la primauté de la race italienne en partant du fait que, selon lui, celle-ci aurait été une « noble descendante des Pélasges ». En réalité, les Pélasges furent des populations méditerranéennes archaïques dégénérescentes et, par conséquent, étrangères à celles qui, plus tard, furent à l’origine des civilisations hellénique et romaine.
5. La contribution la plus remarquable en ce domaine a été donnée par L.F. Clauss, déjà cité (voir en particulier Rasse und Seele, Munich, 1937). Dans ce qui va suivre, nous nous inspirerons fréquemment de sa typologie en l’intégrant parmi celles d’autres auteurs. Dans ce type de recherches, on notera que l’on parle souvent d’ » homme occidental» ou « de l’Ouest» (Westiche Rasse), dont la signification est plus ou moins équivalente à celle de « méditerranéen ».
6. A cet égard, le « dannunzisme » constitue un des phénomènes les plus caractéristiques de ce trait du style méditerranéen, si l’on n’y considère pas seulement l’aspect artistique mais le style bien particulier et reconnaissable dont tout ce que Gabriele d’Annunzio entreprit, y compris comme soldat et comme chef, porte le sceau.
7. Cf. V. Pareto, Le mythe vertuiste, Paris, 1911, p. 166: «De nombreux auteurs sont induits en erreur à propos de la romanité parce qu’ils ne distinguent pas suffisamment trois choses extrêmement différentes: le vertuisme, la tempérance, la dignité. Les Romains ignoraient la première, tenaient en grande estime la seconde et en plus grande estime encore la troisième ».
8. En ce domaine, on pourra se reporter à notre ouvrage Chevaucher le Tigre 2, Paris, 1982.

La mystique de la race dans la Rome antique

La littérature raciste n’a pas manqué de faire ressortir tout ce qui, dans l’ancienne romanité, témoigne de l’importance accordée alors au sang, à la race, à l’origine et à la descendance, et a aussi fait des recherches pour y retrouver l’élément et le type aryens ou nordico-aryens et en suivre le destin. Du fait des intérêts prédominants dans le racisme moderne et de la nature même de ses horizons, ces recherches se sont cependant presque toujours attachées à des éléments au fond extérieurs et secondaires : elles se sont donc portées sur le droit et les moeurs antiques, sur certaines traditions nobiliaires, sur les traces, directes ou indirectes, d’un certain type physique, et ne se sont aventurées que beaucoup plus rarement dans le domaine des cultes et des mythes les plus connus et les plus répandus. Il est curieux que, pour autant que nous le sachions, on ait au contraire négligé presque systématiquement de nombreuses sources qui ont une importance spéciale pour les aspects supérieurs de la doctrine de la race. Ceci est dû au préjugé répandu – que nous avons déjà dénoncé à maintes reprises ici – selon lequel l’ensemble de ce qui avait un caractère extra-rationnel et proprement traditionnel dans l’antiquité romaine se résume à des fantaisies, des inventions, des superstitions, et, en définitive, à des choses peu sérieuses et négligeables. Une grande partie de l’ancien monde romain attend donc encore d’être exploré, et cette exploration, si l’on possède les bons principes et la qualification adéquate pour la mener, donnera sûrement des résultats précieux, particulièrement par rapport à une conscience spirituelle et religieuse des forces de la race.

Les lares, les pénates, les mânes, les génies familiaux, les « héros » tutélaires et ainsi de suite sont des notions bien connues de tous ceux qui ont fait des études, même élémentaires, d’histoire romaine ancienne. Mais connues à quel titre ? Un peu comme le sont les choses mortes et muettes qu’on conserve dans les musées, comme les vestiges écrits d’un monde dont on sent qu’il nous est étranger et qu’il est « mort », et qui nous laissent indifférents, à moins que, pour des raisons techniques et académiques, on ait été obligés de faire des études spéciales sur les sources et les traditions, à un point de vue purement culturel, pour les besoins d’une belle petite monographie. A quelques très rares exceptions près, on ne sent aucunement la nécessité d’assimiler ces traces et d’en tirer des éléments susceptibles de nous faire comprendre les significations et les vérités fondamentales de l’ancienne humanité romaine. Et pourtant c’est justement ici qu’on trouverait la profession de foi raciste la plus précise et la plus significative de la Rome antique, profession de foi qui n’avait rien de « philosophique » et qui n’était pas restreinte à des cercles cultivés, mais qui était vivante et active dans les traditions les plus originelles, les plus répandues, les plus respectées.

Les notions de « lares », « pénates », génies, héros, etc., sont largement interdépendantes. Chacune sous un aspect différent, elles se rapportent toutes à l’ancienne conscience des forces mystiques du sang et de la race, à la lignée, envisagée non seulement dans son aspect corporel et biologique, mais aussi dans son aspect « métaphysique » et invisible, mais pas pour autant « transcendant », dans le sens étroit et dualiste qu’a pris ce terme. L’être considéré isolément, déraciné, n’existe pas – quand il s’imagine se suffire à lui-même, il se trompe pitoyablement, car il ne peut dire d’aucun des processus organiques qui conditionnent sa vie et sa conscience finie qu’ils sont « à lui ». L’individu appartient à un groupe, à une lignée, ou famille. Il fait partie d’une unité organique, dont le véhicule le plus immédiat est le sang, et qui se développe dans l’espace comme dans le temps. Cette unité n’est pas « naturaliste », n’est pas déterminée et créée uniquement par des processus naturels, biologiques et physiologiques. Ces processus en constituent plutôt l’aspect extérieur, la condition nécessaire mais non suffisante. Il y a une « vie » de la vie, force mystique du sang et de la race. Elle est au-delà des forces de la vie des individus, qui, à la mort, s’y dissolvent ou qui, par de nouvelles naissances, en sortent ; elle est donc vitae mortisque locus – lieu qui englobe la vie et la mort et qui, de ce fait, est au-delà des deux.

Maintenir un contact vivant, continuel et profond avec cette force profonde de la race est la forme la plus directe et indispensable de pietas, de religiosité, base et condition de toutes les autres ; les règles principales du droit de la famille en sont des conséquences ou des applications, même en ce qui concerne la terre, qui entretient elle-même, comme le montre la notion de genius loci, des relations mystérieuses et « mystiques » avec le sang et la force originelle de la race, ou gens, à laquelle elle appartient et qui y vit. Quand on considère les origines, on a le sentiment d’un « mystère » – c’est le mythe d’êtres venus d’ « en haut » ou d’hommes qui ont réussi à se « déshumaniser », à séparer leur vie de leur personne et à en faire la force supra-individuelle d’une race, d’un sang, d’une descendance qui y verra son origine. Dans l’idéal, il y a une relation et une adéquation parfaites entre l’individu et cette force, ce qui signifie pour lui l’apothéose, c’est-à-dire la conquête du privilège de l’immortalité, et lui donne le droit de se considérer directement comme le « fils » – au sens supérieur – de l’ancêtre de la race, voire même comme une sorte de nouvelle manifestation de cet ancêtre lui-même. C’est là l’essence de la croyance mystico-raciste de l’ancienne humanité aryo-méditerranéenne et, en particulier, romaine. L’importance qu’elle accorda à la race, non seulement comme corps, mais aussi comme esprit, est un fait irréfutable et constitue la base de la croyance aux entités déjà mentionnés et du culte rigoureux qu’on leur voua. Il nous reste à ajouter quelques témoignages, qui serviront à éclairer d’autres aspects de l’idée centrale que nous venons d’exposer succinctement.

Selon un témoignage bien connu de Macrobe (Sat., III, 4), les lares étaient « les dieux qui nous [les Romains] font vivre ; ils alimentent notre corps et gouvernent notre âme » (*). Cela ne doit naturellement pas s’entendre au sens naïvement littéral, mais par rapport au mystère des forces profondes de notre organisme. Comme nous l’avons indiqué, aucun des processus les plus importants qui sont à la base de notre vie organique et psycho-physique ne dépend directement de notre volonté et n’est illuminé par notre conscience. L’homme antique ne s’intéressait pas à l’aspect extérieur, physique de ces processus, étudié par les sciences positives modernes, mais se préoccupait des forces qu’ils présupposent et qui – au sens supérieur et symbolique – « alimentent » et « gouvernent » notre vie. Le témoignage de Macrobe est le plus explicite de tous ceux qui indiquent que l’ancien culte des lares, des mânes ou des pénates se référait, avant tout, à ces forces.

Celles-ci se rattachaient d’ailleurs à une origine unique étroitement liée à l’idée de race. « Les plus anciens documents sur le culte des lares nous donnent de préférence leur divinité au singulier et l’incarnent dans le lar familiaris, père unique, mais idéal d’une race : ce mot en effet signifie, non pas qu’il a procréé matériellement cette race à l’origine en qualité d’ancêtre, mais qu’il est la raison divine de son existence et de sa durée » (cf. Saglio, « Dict. des Antiquités grècques et romaines », III, p. 938). Le lar familiaris était aussi appelé familiae pater, père ou origine de la famille ou de la gens ; sous cet aspect, il s’identifiait au genius generis, au « génie » d’un sang donné. Le genius, plus spécifiquement, c’était la force cachée et « divine » qui engendre, genius nominatur qui me genuit, l’ancêtre d’une race, generis nostri parens ; le mot de « genius » lui-même se rattache aux verbes geno, gigno, c’est-à-dire à l’idée d’engendrer, dont dérive le mot de gens, peuple ; ici, il s’agit aussi du pouvoir réel qui est à l’origine de la génération physique, de l’union des sexes (a gignendo genius appellatur, Censorinus, De die nat., 3), de sorte que le lit nuptial s’appelait aussi lectus genialis (lit du génie) et que toute offense au caractère sacré du mariage patricien et au sang était considérée comme un crime essentiellement contre le genius de la lignée.

Les auteurs anciens rattachent le mot de genius non seulement à geno, genere (engendrer), mais aussi au verbe gero, ce qui, même si c’est inexact étymologiquement, n’en est pas moins significatif de l’idée qu’on se faisait de l’entité en question. Ce rapprochement met en effet en lumière l’idée que la force constituant l’origine mystique d’un sang donné et la matrice de la génération demeure comme une « présence » dans le groupe correspondant et, en principe, gouverne, dirige et soutient la vie des individus (cf. Hartung, « Die Religion der Römer », I, 32). Notre langue a encore le mot de « génial », mais pour désigner quelque chose de complètement différent, et même de diamétralement opposé à ce qu’il signifiait à l’époque. L’individu « génial », dans l’acception commune, est plus ou moins celui qui « invente », qui a des « idées », dans un esprit anarchique et individualiste. Dans l’ancienne conception, la « génialité »ne pouvait au contraire être conçue que comme une inspiration spéciale ou une illumination dont jouissait l’individu non pas en tant que tel, mais, essentiellement, par rapport à sa race et à son sang, à l’élément divin de sa gens et de la tradition de la gens.

La « présence » du génie, du lare ou des pénates dans le groupe que cette entité tenait sous sa protection était matérialisée et symbolisée par le feu, par la flamme sacrée, qui devait brûler constamment au centre des foyers patriciens, dans le temple sur l’atrium, lieu où le pater familias célébrait et où se réunissaient les différents membres du groupe familial ou nobiliaire, par exemple pour les repas, qui avaient eux-mêmes une signification rituelle dans l’ancienne vie romaine et aryenne. Par exemple, une partie des aliments était réservée au dieu du feu domestique, en souvenir de la communauté de vie qui le liait aux individus – communauté de vie et aussi communauté de destin. Sous certains aspects, en effet, non seulement le genius était le principe qui détermine les caractéristiques fondamentales de chacun des individus qui naissent sous son signe, mais en plus il était conçu comme le principe directeur de ses actes les plus importants et les plus décisifs, comme ce qui l’assiste et le guide, pour ainsi dire, dans les coulisses de sa conscience finie et devient la cause première du destin, heureux ou malheureux, qui lui est réservé. Par la suite, cette entité de l’ancien culte racial romain donna lieu à des représentations populaires, qui, cependant, ne conservent pas grand chose de sa signification originelle : il nous faut mentionner, par exemple, l’indéniable relation entre le genius et la conception populaire chrétienne des « anges gardiens » ou du bon ange et du mauvais ange, images qui sont devenues purement mythologiques et n’ont plus aucun rapport essentiel et concret avec le sang et les forces mystiques de la race.

Du fait qu’il existait un lien intime entre l’individu et le lare, le génie et, en général, la divinité symbolisée par le feu sacré d’une souche donnée ; du fait que cette divinité passait pour avoir un caractère vivant, concret et agissant, les particularités du culte antique s’expliquent. Cette entité du feu apparaissait comme l’intermédiaire naturel entre le monde humain et l’ordre surnaturel. En partant de l’idée de l’unité, réalisée dans le sang et dans la race, de l’individu avec une force qui, comme le génie ou le lare, était plus que physique, l’homme antique était convaincu qu’il lui était réellement possible d’influer, par ce moyen, sur son destin et de mettre ses forces et ses actions sous la protection d’une influence transcendance que, par le mystère du sang et de la race auxquels il appartenait, des rites spéciaux devaient favoriser et ennoblir. L’anti-universalisme est un trait distinctif du culte des plus anciennes sociétés aryennes. L’homme antique ne s’adressait pas à un dieu dans l’abstrait, dieu de tous les hommes et de toutes les races, mais au dieu de sa race, ou plutôt de son peuple et de sa famille. Inversement, seuls les membres du groupe qui était sous sa protection pouvaient légitimement invoquer la divinité du feu domestique et croire à l’efficacité de leurs rites. Il est facile, ici, de porter des jugements négatifs et d’employer des formules stéréotypées comme celle de « polythéisme » ; il est difficile d’expliquer ce dont il s’agissait là dans le monde antique, car le sens de l’ancienne religion a été perdu, de siècle de contingence en siècle de contingence, presque entièrement perdu. Nous nous en tiendrons à deux points.

Ce qui justifiait l’ancien culte nobiliaire et racial aryen et romain, c’était essentiellement une conception hiérarchique. Dans une armée, on ne s’adresse pas directement au chef suprême, mais plutôt au supérieur hiérarchique dont on dépend immédiatement, car celui-ci, au besoin par ses aides, peut résoudre le problème sans qu’il soit nécessaire de remonter plus haut. De même, ce n’est pas parce qu’on admet un dieu universel qu’il faut exclure tout intermédiaire et condamner toute référence aux forces mystiques particulières qui sont celles d’un peuple ou d’une race et qui y sont liées par une communauté de vie et de destin. Cela opposera justement l’argument de la hiérarchie à l’accusation de polythéisme lancée par les chrétiens, et fera remarquer, en se servant d’une comparaison, que celui qui se soumet à une autorité déléguée au gouvernement d’une province donnée se soumet implicitement à celle du gouvernement central, tandis que celui qui prétend s’adresser uniquement et directement à celui-ci, en dehors du fait qu’il fait preuve d’impertinence, peut, dans la pratique, semer la confusion. On sait que la romanité, en dehors des cultes propres à la noblesse, reconnut des cultes plus généraux, parallèles à l’universalité à laquelle s’élevait graduellement la cité éternelle, et c’est là ce qui ressort aussi d’un des aspects sous lesquels se présentaient des entités comme les lares, ou « génies », puisqu’il exista une conception nationale des lares, par exemple dans le culte rendu aux lares militares, dans la notion de lares publici, dans la référence à la force mystique de la lignée impériale, aux « demi-dieux qui ont fondé la cité et établi l’empire universel », ou dans l’idée de « génie ou démon universel ».

En second lieu, l’homme antique, traditionnel, ne réduisait pas le culte à une simple convention sentimentale et, pour lui, le rite n’était pas une cérémonie vide. Pour que s’établisse un rapport réel et efficace entre le monde humain et le monde divin, il pensait qu’il existait des conditions précises. L’une d’elles était justement la race et le sang. Même sans entrer dans le domaine complexe des présupposés métaphysiques du culte, il est clair que la force à laquelle l’individu pensait devoir la vie et dont il supposait qu’elle était « présente » dans son corps, mais à laquelle il attribuait des caractères supra-individuels et supranaturels, était conçue comme l’intermédiaire le plus direct et le plus positif pour atteindre ce qui est supérieur à la vie. La race, comme race de l’esprit, était donc une valeur religieuse, contenait un sacrement, recélait quelque chose de « magique », et cela en vertu de considérations, il faut bien le reconnaître, positives et réalistes à bien des égards.

La prestation de serment au genius dans l’antiquité romaine se faisait en se touchant le milieu du front, et le culte du genius lui-même n’était pas sans relation avec celui de la Fides, personnification de la vertu, essentiellement aryenne et virile, de la fidélité et de la loyauté (cf. Servius, Ecl., VI, 3 ; Aen., III, 607). Le détail relatif au geste du serment est, pour toute personne compétente, fort intéressant, parce qu’il rattache le genius et les entités apparentées au mens, au principe intellectuel et viril de la vie, hiérarchiquement supérieur à l’âme et aux forces purement corporelles : ce n’est certes pas par hasard que la région attribuée par la tradition romaine au mens – le centre du front – est celle que la tradition indo-aryenne rapporte expressément à la force de la « virilité transcendante » et au « centre de la commande » – âjna-cakra. Ainsi est écartée l’hypothèse que, dans le culte familial romain, il se serait agi, sinon de personnifications superstitieuses, du moins d’une sorte de « totémisme », le totem étant l’entité ténébreuse du sang d’une tribu de sauvages, apparentée aux forces du règne animal. Au contraire, le monde romain antique attribuait aux dieux de la race et du groupe familial des traits effectivement surnaturels, car, dans l’antiquité méditerranéenne, l’esprit, mens ou nous, était conçu justement comme le principe surnaturel et « solaire » de l’homme.

Sans doute, il ne faut pas généraliser et penser qu’il en allait toujours ainsi. Les traditions qui étaient comprises dans le monde romain antique sont plus variées et complexes que ce qu’on a supposé jusqu’ici. Les influences ethniques et spirituelles les plus diverses se rencontrèrent dans la Rome primitive. Certaines se rapportent effectivement à des formes inférieures de culte – inférieures, soit parce qu’elles appartenaient à un substrat ethnique non aryen, soit parce qu’elles représentaient des formes involutives et matérialisées de cultes beaucoup plus anciens, d’origine aryenne et plus particulièrement atlantico-occidentale.

Cela vaut aussi à l’égard du culte relatif aux formes mystiques du sang, de la race et de la famille, qui, dans certains cas et dans certaines phases, a des traits, pour ainsi dire, « crépusculaires », eu égard, surtout, à leur aspect « chthonien » et « infernal », qui y prédomine sur l’aspect lié, au contraire, aux symboles solaires célestes et supraterrestres. Toutefois, il est incontestable que, dans la plupart des cas, la plus haute tradition fut présente à Rome et que, dans son développement, Rome réussit à « rectifier » et à purifier dans une mesure qui est loin d’être négligeable les traditions diverses dont elle était composée. Ainsi, aux mythes qui, en rattachant le culte des lares à Acca Larentia, au roi plébéien Servius Tullius et à l’élément sabin, renvoient à un aspect inférieur, s’opposent les éléments « héroïques » du culte des lares et des pénates, et ces éléments deviennent de plus en plus importants à mesure qu’on se rapproche de l’époque de l’Empire. Le nom même de « lare » viendrait de l’étrusque « lar », qui veut dire chef ou prince, et aurait été donné à des chefs et des guerriers comme Porsenna et Tolumnius. Une tradition extrêmement répandue chez les anciens, et que rapporte Varron (ling. lat., IX, 38, 61), assimile les lares aux « héros », dans le sens grec de demi-dieux, d’hommes qui sont allés au-delà de la nature et ont acquis l’indestructibilité des Olympiens, ce qui confirme, même s’il a eu tort de la généraliser, l’idée de Mommsen selon laquelle chaque gens avait son propre « héros », origine de la lignée, qu’on vénérait justement dans le lar familiaris.

Tout cela fait ressortir l’aspect surnaturel et « royal » de l’ancien culte des forces mystiques du sang. Et ce n’est pas tout. D’un côté, les épitaphes funéraires nous montrent que le Romain croyait que le principe de l’immortalité de sa descendance résidait dans les lares eux-mêmes : nombre de ces épitaphes, dans lesquelles ne se reflète pas la possibilité négative, « tellurique », du post-mortem, celle d’une sorte de survie inerte et ténébreuse dans un monde infernal, mais où s’affirme l’idée plus élevée que le mort est le principe d’une existence supérieure, établissent justement un rapport entre le mort à qui elles sont dédiées et le « lare » ou le « héros » de sa famille. De l’autre, comme nous l’avons déjà dit, la romanité réussit à universaliser la notion du lare en l’appliquant à la force centrale dominatrice de la romanité. C’est pourquoi nous trouvons des inscriptions dédiées au lar victor, au lar martis, et enfin aux lares Augusti. On est déjà là dans un domaine où il ne s’agit plus de la race comme gens et noyau familial, mais comme lignée et communauté politique. Derrière cet aspect de la race aussi, on pressentit une force divine, une entité mystique, liée à des destins de guerre, de victoire et de paix triomphale – lar victor, lar martis et pacis -, et enfin au « génie », au principe générateur des dominateurs, des Césars, au lar Augusti.

Ceci nous amènerait à aborder une autre question, qui est la conception aryenne de la « fortune » et du « destin » des chefs, des cités et des nations. Nous nous proposons d’en parler dans le prochain article. Pour l’instant, nous pensons avoir mis suffisamment en lumière la signification des représentations mystiques et des cultes des anciennes lignées romaines, où il est clair que la conscience du sang et de la race fut vivante et où la religion ne fut pas un facteur d’évasion et d’universalisme, mais constitua le ciment le plus solide de l’unité familiale et raciale. Le mystère du sang fut une idée centrale de l’ancienne spiritualité romaine ; ceux qui le négligent se condamnent à une compréhension superficielle et « profane » des aspects les plus tangibles, connus et célébrés du droit, des moeurs et de l’éthique de la société antique.

Julius Evola

Le problème de la « latinité »

« On pourrait cependant objecter : « Tout ceci est bel et bon mais que devient, avec de telles idées, la latinité ? Est-ce que, par hasard, nous ne serions pas des méditerranéens et des Latins ? L’origine de notre peuple et l’inspiration de notre civilisation ne sont-elles pas, comme on l’admet universellement, latines ? »

Ce mythe latin – sinon sous la forme (dont de récents événements ont démontré la solidité très relative) de la « fraternité latine » et de la fondamentale unité d’esprit et de sensibilité des peuples « latins », du moins au sens de la « latinité » de notre civilisation italienne – ce mythe latin garde encore sa vigueur dans de nombreux milieux, notamment chez les gens de lettres et les intellectuels, et n’est pas étranger à l’inspiration d’une bonne partie de l’enseignement tel qu’il est encore délivré aujourd’hui dans les écoles. En se réclamant d’un tel mythe, on insiste surtout sur l’antithèse qui, malgré tout, existerait entre notre peuple et les autres et, par conséquent, sur l’impossibilité d’une entente qui ne serait pas simplement dictée par de communs intérêts politiques.

Or, ici encore, nous sommes confrontés à une grossière équivoque née de l’utilisation passive de phrases toutes faites et de formules que l’on ne se donne pas la peine d’approfondir. Car, à la fin, qu’entend-t-on exactement par « latin » ? Et à quel domaine se réfère-t-on lorsqu’on emploie une telle expression ?

Ce n’est pas par hasard si nous avons souligné que le mythe latin est avant tout l’enfant chéri de milieux d’homme de lettres et d’intellectuels. En réalité, tel qu’il est utilisé couramment, le terme « latin » (au même titre que celui de « civilisation latine ») n’a de sens qu’à condition de se référer à un plan esthétique, « humaniste » et littéraire – c’est à dire au monde des arts et de la culture au sens le plus extérieur du terme. Ici, la « latinité » est plus ou moins synonyme d’élément « roman » : en d’autres termes, il s’agit de reflets que certains peuples ayant jadis appartenu à l’Empire Romain conservèrent, sur le pan culturel, de l’action formatrice de la Rome antique – au point d’adopter sa langue, la langue latine.

Si l’on voulait cependant se donner la peine d’examiner d’un peu plus près les choses, on s’apercevrait bien vite que cette « latinité », simple écho de l’antique civilisation gréco-romaine, est quelque chose de superficiel. Nous dirions presque qu’il s’agit d’un vernis qui s’efforce vainement de recouvrir des différences aussi bien ethniques que spirituelles qui, comme l’histoire nous l’a montré hier encore, peuvent même se traduire par des antagonismes sans merci.

Comme nous le disions, cette unité ne subsiste que dans le monde des lettres et des arts, du moins en vertu d’une conception typiquement « humaniste » de celui-ci et qui se réfère à un monde pour lequel la Rome antique, héroïque et catonienne ne dissimulait pas son mépris. Un autre domaine où cette unité subsiste est celui de la philologie, bien que cette unité soit remise en question depuis que l’on a établi de façon indiscutable l’appartenance de la langue latine au tronc général des langues aryennes et indo-germaniques ; c’est, par ailleurs, un fait établi que, au niveau sinon des vocables, du moins de l’articulation et de la syntaxe (les déclinaisons, notamment), l’antique langue latine est plus proche de l’allemand que des langues latines romanes. De sorte que, pour parler sans fioritures inutiles, cette « latinité » tant vantée s’avère ne concerner aucune des formes réellement créatrices et originelles propres aux peuples sensés en relever. Elle ne concerne qu’une façade – non pas l’essentiel, mais l’accessoire. Ce n’est pas tout : il faudrait aussi revoir une bonne fois pour toutes, d’un point de vue raciste, la signification de ce monde classique « gréco-romain » dont dérive soi-disant la latinité et pour lequel les « humanistes » nourrissent un culte quasi superstitieux.

Ce n’est pas ici le lieu de traiter ce problème : nous dirons simplement que ce « classicisme » est un mythe du même tonneau que celui de la philosophie des Lumières, laquelle voudrait faire croire que ce n’est qu’avec les « conquêtes » de la Renaissance et leurs conséquences, l’encyclopédisme et la Révolution française, que serait née, après les « ténèbres » du Moyen-Age, la « véritable » civilisation. Dans le mythe « classique » lui aussi on sent la même mentalité esthétisante et rationaliste.

Qu’il s’agisse de Rome ou de la Grèce, ce que la plupart des gens considèrent comme « classique », c’est en fait une civilisation qui, sous plus d’un aspect – en dépit de sa splendeur apparente, bien faite pour séduire une race « aphrodisienne » -, nous apparaît, à nous, comme déjà décadente : il s’agit de la civilisation qui naquit lorsque le cycle précédent – la civilisation héroïque, sacrale, virile et proprement aryenne de l’Hellade et de la Rome des origines – avait déjà amorcé sa courbe descendante.

Ce qu’il convient, par contre, de noter, c’est que si l’on se reporte à ce monde des origines bâti par des races « solaires » et « héroïques », le terme « latin » revêt une toute autre signification – signification qui inverse carrément le mythe auquel nous faisions allusion au début. Nous nous bornerons ici à évoquer quelques résultats des recherches actuellement en cours à propos des traditions de l’Italie préhistorique et préromaine. Originellement, le terme « Latins » désignait une ethnie dont la parenté raciale et spirituelle avec le groupe des peuples nordico-aryens n’est contestée par aucun auteur sérieux. Les Latins constituaient un rameau, ayant poussé jusqu’à l’Italie centrale, de cette race pratiquant le rite de la crémation des morts qui s’opposa à la civilisation oscosabellienne caractérisée, elle, par le rite funéraire de l’inhumation – or, la relation entre les civilisations « inhumatrices » et les civilisations méditerranéennes et asiatico-méditerranéennes (pré- et non indo-européennes) est elle aussi incontestable. Et ces Latins occupèrent certaines régions de l’Italie bien avant l’apparition des Etrusques et des premiers Celtes.

Parmi les traces laissées derrières elles, quasiment comme un sillage, par les races dont dérivèrent les Latins, on peut notamment citer celles découvertes récemment dans le Val Camonica. Eh bien, ces traces correspondent de façon significative aux traces préhistoriques des races aryennes primordiales, aussi bien nordico-atlantiques (civilisation franco-cantabrique de Cromagnon) que nordico-scandinaves (civilisation de Fossum). Nous y trouvons les mêmes symboles d’une spiritualité « solaire », le même style, la même absence de traces d’une religiosité tellurico-démétrienne, qui sont au contraire propres aux civilisations méditerranéennes non aryennes ou à la décadence aryenne (Pélasges, Crétois, etc. ; en Italie : Etrusques, civilisation de la Maiella, etc.).

Ce n’est pas tout : on constate également des affinités antre ces traces laissées dans le Val Camonica et la civilisation dorienne propres aux races qui, venues du Nord, s’établirent en Grèce et créèrent Sparte, et caractérisées par le culte d’Apollon conçu comme dieu solaire hyperboréen. En réalité, comme l’établissent les travaux d’Altheim et de Trautmann, cette migration des peuples dont dérivèrent les Latins et dont la conclusion devait être, en Italie, la fondation de Rome, cette migration ressemble en tous points à la migration dorienne qui, en Grèce, donna naissance à Sparte. Rome et Sparte sont donc des manifestations correspondant à des races du corps et de l’esprit semblables qui, à leur tour, sont parentes de celles spécifiquement nordico-aryennes.

Mais quand on évoque la première romanité et Sparte, il s’agit d’un monde de forces à l’état pur, d’un ethos sans faiblesse, d’une maîtrise de soi incontestablement virile et dominatrice – monde que l’on retrouverait difficilement dans la civilisation dite « classique » qui lui succéda et dont on voudrait faire dériver la « latinité » et l’« unité de la grande famille latine ».

Si, par contre, on emploie le terme « latin » en se référant aux origines, on constate un retournement complet de la thèse de la « latinité ». Originellement, cette dernière – qui correspond à ce que la grandeur romaine recelait de vraiment aryen – se rapporte à des formes de vie et de civilisation non pas opposées, mais au contraire semblables à celles que les races nordico-germaniques elles aussi devaient plus tard manifester en face d’un monde en décadence qui, plus que latin, était désormais « roman » et plus ou moins bysantinisé. Sous son vernie tout extérieur, la supposée « latinité » renfermait, au contraire, des forces hétérogènes capables de ne former un tout qu’aussi longtemps qu’elles se trouvent simplement confrontées au dérisoire « monde des lettres et des arts ». »

Julius Evola, « Éléments pour une éducation raciale ».