Une religion de la Cité

« Je tiens beaucoup à préciser que le paganisme, pour moi, dès le départ, n’a jamais été la volonté de forger un comportement religieux nouveau, mais essentiellement une défense des humanités gréco-latines et l’étude des racines culturelles de tous les autres grands groupes ethniques européens. Ces “humanités” nous dévoilaient une conception du droit et de l’État (des res publicae, des choses publiques : notons le pluriel !) qui pourrait parfaitement nous inspirer encore aujourd’hui. Je rappelle aux zélotes d’une religion caricaturale et sulpicienne que les notions de droit, propres aux Romains, aux Grecs et aux Germains, sont plus anciennes que la religion chrétienne et que ce sont eux qui forment véritablement l’armature de la civilisation européenne.

Bien sûr, j’ai toujours reproché aux cercles de la Nouvelle Droite de ne jamais avoir exploré cette veine-là et d’avoir voulu rétablir un culte païen, en ne tenant pas compte du fait que l’Europe pré-chrétienne était animée par une religion de la Cité, c’est-à-dire une religion éminemment politique et non prioritairement esthétique, morale ou éthique. En voulant théoriser une “éthique païenne” ou recréer ex nihilo une “esthétique païenne”, avant de rétablir le droit romain ou germanique dans sa plénitude et dans son sens initial, les vedettes les plus bruyantes de la “Nouvelle Droite” ont fait du christianisme inversé, ont tout simplement joué, comme des adolescents irrévérencieux, à renverser les tabous de leur éducation catholique. C’était stupide et peu constructif. »

« Nationalisme, concert européen impérial, nouvelle droite et renouveau catholique », entretien avec Robert Steuckers, 1994.

Empire et Europe

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« […] Frédéric II Hohenstaufen, sorte de surdoué, très tôt orphelin de père et de mère, virtuose des techniques de combat, intellectuel formé à toutes les disciplines, doté de la bosse des langues vivantes et mortes, se …verra refuser d’abord la dignité impériale par l’autocrate Innocent III : « C’est au Guelfe que revient la Couronne car aucun Pape ne peut aimer un Staufer ! » Ce que le Pape craint par-dessus tout c’est l’union des Deux-Siciles (Italie du Sud) et l’Empire germano-italien, union qui coincerait les États pontificaux entre deux entités géopolitiques dominées par une seule autorité. Frédéric II a d’autres plans, avant même de devenir Empereur : au départ de la Sicile, reconstituer, avec l’appui d’une chevalerie allemande, espagnole et normande, l’œcumène romano-méditerranéen.

Son projet était de dégager la Méditerranée de la tutelle musulmane, d’ouvrir le commerce et l’industrie en les couplant à l’atelier rhénan-germanique. C’est la raison de ses croisades, qui sont purement géopolitiques et non religieuses : la chrétienté doit demeurer, l’islam également, ainsi que les autres religions, pour autant qu’elles apportent des éclairages nouveaux à la connaissance. En ce sens, Frédéric II redevient « romain », par une tolérance objective, ne cherchant que la rentabilité pragmatique, qui n’exclut pas le respect pieux des valeurs religieuses : cet Empereur qui ne cesse de hanter les grands esprits (Brion, Benoist-Méchin, Kantorowicz, de Stefano, Horst, etc.) est protéiforme, esprit libre et défenseur du dogme chrétien, souverain féodal en Allemagne et prince despotique en Sicile ; il réceptionne tout en sa personne, synthétise et met au service de son projet politique. Dans la conception hiérarchique des êtres et des fins terrestres que se faisait Frédéric II, l’Empire constituait le sommet, l’exemple impassable pour tous les autres ordres inférieurs de la nature. De même, l’Empereur, également au sommet de cette hiérarchie par la vertu de sa titulature, doit être un exemple pour tous les princes du monde, non pas en vertu de son hérédité, mais de sa supériorité intellectuelle, de sa connaissance ou de ses connaissances.

[…] L’Empereur, donc le politique, est également responsable du savoir, de la diffusion de la « vérité » : en créant l’université de Naples, en fondant la faculté de médecine de Salerne, Frédéric II affirme l’indépendance de l’Empire en matière d’éducation et de connaissance. Cela ne lui fut pas pardonné (destin de ses enfants).

L’échec du redressement de Frédéric II a sanctionné encore davantage le chaos en Europe centrale. L’Empire qui est potentiellement facteur d’ordre n’a plus pu l’être pleinement. Ce qui a conduit à la catastrophe de 1648, où le morcellement et la division a été savamment entretenue par les puissances voisines, en premier lieu par la France de Louis XIV. Les autonomies, apanages de la conception impériale, du moins en théorie, disparaissent complètement sous les coups de boutoir du centralisme royal français ou espagnol. Le « droit de résistance », héritage germanique et fondement réel des droits de l’homme, est progressivement houspillé hors des consciences pour être remplacé par une théorie jusnaturaliste et abstraite des droits de l’homme, qui est toujours en vigueur aujourd’hui.

Toute notion d’Empire aujourd’hui doit reposer sur les quatre vertus de Frédéric II Hohenstaufen : justice, vérité, miséricorde et constance. L’idée de justice doit se concrétiser aujourd’hui par la notion de subsidiarité, donnant à chaque catégorie de citoyens, à chaque communauté religieuse ou culturelle, professionnelle ou autre, le droit à l’autonomie, afin de ne pas mutiler un pan du réel. La notion de vérité passe par une revalorisation de la « connaissance », de la « sapience » et d’un respect des lois naturelles. La miséricorde passe par une charte sociale exemplaire pour le reste de la planète. La notion de constance doit nous conduire vers une fusion du savoir scientifique et de la vision politique, de la connaissance et de la pratique politicienne quotidienne.

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Nul ne nous indique mieux les pistes à suivre que Sigrid Hunke, dans sa persepective « unitarienne » et européo-centrée : affirmer l’identité européenne, c’est développer une religiosité unitaire dans son fonds, polymorphe dans ses manifestations ; contre l’ancrage dans nos esprits du mythe biblique du péché originel, elle nous demande de réétudier la théologie de Pélagius, l’ennemi irlandais d’Augustin. L’Europe, c’est une perception de la nature comme épiphanie du divin : de Scot Erigène à Giordano Bruno et à Gœthe. L’Europe, c’est également une mystique du devenir et de l’action : d’Héraclite, à Maître Eckhart et à Fichte. L’Europe, c’est une vision du cosmos où l’on constate l’inégalité factuelle de ce qui est égal en dignité ainsi qu’une infinie pluralité de centres, comme nous l’enseigne Nicolas de Cues.

Sur ces bases philosophiques se dégageront une nouvelle anthropologie, une nouvelle vision de l’homme, impliquant la responsabilité (le principe « responsabilité ») pour l’autre, pour l’écosystème, parce que l’homme n’est plus un pécheur mais un collaborateur de Dieu et un miles imperii, un soldat de l’Empire. Le travail n’est plus malédiction ou aliénation mais bénédiction et octroi d’un surplus de sens au monde. La technique est service à l’homme, à autrui.

Par ailleurs, le principe de « subsidiarité », tant évoqué dans l’Europe actuelle mais si peu mis en pratique, renoue avec un respect impérial des entités locales, des spécificités multiples que recèle le monde vaste et diversifié. Le Prof. Chantal Millon-Delsol constate que le retour de cette idée est due à 3 facteurs :

1. La construction de l’Europe, espace vaste et multiculturel, qui doit forcément trouver un mode de gestion qui tiennent compte de cette diversité tout en permettant d’articuler l’ensemble harmonieusement. Les recettes royales-centralistes et jacobines s’avérant obsolètes.

2. La chute du totalitarisme communiste a montré l’inanité des « systèmes » monolithiques.

3. Le chômage remet en cause le providentialisme d’État à l’Ouest, en raison de l’appauvrissement du secteur public et du déficit de citoyenneté. « Trop secouru, l’enfant demeure immature ; privé d’aide, il va devenir une brute ou un idiot ».

La construction de l’Europe et le ressac ou l’effondrement des modèles conventionnels de notre après-guerre nécessite de revitaliser une « citoyenneté d’action », où l’on retrouve la notion de l’homme coauteur de la création divine et l’idée de responsabilité. Tel est le fondement anthropologique de la subsidiarité, ce qui a pour corollaire : la confiance dans la capacité des acteurs sociaux et dans leur souci de l’intérêt général ; l’intuition selon laquelle l’autorité n’est pas détentrice par nature de la compétence absolue quant à la qualification et quant à la réalisation de l’intérêt général.

Mais, ajoute C. Millon-Delsol, l’avènement d’une Europe subsidiaire passe par une condition sociologique primordiale : la volonté d’autonomie et d’initiative des acteurs sociaux, ce qui suppose que ceux-ci n’aient pas été préalablement brisés par le totalitarisme ou infantilisés par un État paternel (solidarité solitaire par le biais de la fiscalité ; redéfinition du partage des tâches). Notre tâche dans ce défi historique, donner harmonie à un grand espace pluriculturel, passe par une revalorisation des valeurs que nous avons évoquées ici en vrac au sein de structures associatives, préparant une citoyenneté nouvelle et active, une milice sapientiale. »

Robert Steuckers, extrait de « La Notion d’Empire, de Rome à nos jours », conférence prononcée à la tribune du « Cercle Hélios », Île-de-France, 1995.

Lien source : dossier EMPIRE sur Vouloir.

Enracinement

« Attachement à sa terre, à son hérédité et à son identité comme moteurs du dynamisme historique.

L’enracinement s’oppose au cosmopolitisme, aux métissages culturels et au chaos ethnique de la civilisation actuelle.

Ce concept positif est pourtant « glissant » car il peut donner lieu à des quiproquos. L’enracinement, pour un Européen, n’est jamais immobilisme ou passéisme. Il associe l’héritage des ancêtres et la création. L’enracinement ne doit pas s’entendre de manière muséographique, ce qui reviendrait à neutraliser l’identité d’un peuple en la figeant dans le pur souvenir nostalgique. Cette notion est complémentaire de celle de la « désinstallation », expliquée par ailleurs. L’enracinement est la préservation des racines, tout en sachant que l’arbre doit continuer à croître. Les racines sont vivantes : elles portent et permettent la croissance de l’arbre.

L’enracinement s’accomplit d’abords dans la fidélité à des valeurs et à un sang. Le type le plus dangereux d’enracinement – ou de pseudo-enracinement – se manifeste dans les milieux régionalistes et autonomistes de gauche, en Occitanie, au Pays basque et en Bretagne par exemple, qui revendiquent à la fois une exception culturelle et linguistique, mais qui s’adonnent au modèle multiracial. Selon la litanie ahurissante maintes fois entendues : « nos immigrés sont aussi Bretons, Basques ou Occitans que nous ». La contradiction est totale : on s’oppose au nom des « traditions » au jacobinisme réducteur, mais on admet sur son sol les étrangers à ces traditions, imposés par l’universalisme jacobin lui-même !

L’enracinement, s’il se limite à la culture, n’est que folklore stérile. Il doit impérativement inclure une dimension ethnique fondatrice. L’enracinement strictement culturel est donc nécessaire, mais insuffisant.

Pour les Européens du futur,  l’enracinement ne devra pas se limiter à l’attachement et à la défense des patries charnelles régionales ou nationales, mais accomplir une révolution intérieure : la prise de conscience d’une communauté historique de destin, l’Europe, et, peut-être plus tard, l’Eurosibérie. »

Guillaume Faye, « Pourquoi nous combattons, Manifeste de la Résistance européenne », pp. 113-114. L’Æncre, 2001.

Le droit des gens européen

« Quelque soit son masque, le conflit est universel. Ainsi que le disait Héraclite, le conflit est père de toute chose, il est inscrit dans la vie de l’univers et dans la nature des hommes. Cela est si vrai que les religions qui se réclament de l’amour ont elles-même pourchassé leurs hérétiques avec férocité et béni le bras armé qui les soutenait de sa force et assurait leurs conquêtes. Aussi choquant que cela soit pour l’esprit, toute l’histoire montre que haïr, autant qu’aimer, fait partie de l’humanité des hommes. Une expérience constante prouve aussi que se mobiliser contre un ennemi est le facteur le plus puissant de la cohésion du groupe.

À la fin d’une vie consacrée à lutter contre la guerre, Gaston Bouthoul, le fondateur de la polémologie, fit cet aveu ironique : « Durant ma longue carrière, j’ai bien souvent parlé à des auditoires de pacifistes. Il est bien rare que je n’y aie pas rencontré des réactions combatives, sinon bellicistes, et, très souvent aussi, la nostalgie de la violence et de son pouvoir simplificateur. Les pacifistes se croient pacifiques, mais leur inconscient ne l’est pas. » Désabusé, il ajoutait : Tout homme a dans le cœur un guerrier qui sommeille. Chacun porte au fond de lui des buts de guerre qui enchantent ses rêves. »

Depuis toujours, le conflit surgit quand un groupe hostile, clan de chasseurs, nomades ou puissance organisée, pénètre dans un cercle vital d’un autre groupe. En dehors d’une conciliation, il appartient à la force de trancher. Le vainqueur s’empare des femmes et des richesses du vaincu écrasé ou exterminé. Il s’empare même parfois de son âme. L’histoire ne connait que les vainqueurs et maudit les vaincus. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours ainsi, quelles que soient les apparences flatteuses et les justifications mensongères que le vainqueur donne à sa guerre et à sa victoire. Enregistrer cette constante ne signifie pas qu’il faudrait la subir comme une fatalité. Le propre d’une civilisation est d’imposer sa forme aux fatalités. La réalité permanente de la violence doit être prise en compte pour en maîtriser les excès non par des discours vertueux ou indignés, mais par une action opiniâtre et réfléchie dont l’époque classique européenne donne l’exemple, en harmonie avec la philosophie de la mesure implicite dès Homère, puis explicite chez Aristote comme chez les Stoïciens.

Après les monstruosités de la guerre de Trente Ans, lors des traités de Westphalie de 1648, sous l’effet de la sécularisation du pouvoir et d’un retour à la philosophie antique, se mettent en place en Europe un droit de la guerre et un droit des gens (jus publicum europaeum) qui font écho à l’idée de la guerre limitée développée par Platon à l’occasion de sa polémique avec Antiphon. Le but est de contenir la guerre dans certaines limites en récusant la notion augustinienne de la « guerre juste ». Ce droit des gens se fonde sur la distinction entre les armées et les populations civiles que l’on veut épargner. Il se fonde aussi sur la symétrie entre les États. Chacun d’eux est considéré comme juge de la licéité de la guerre (droit de la faire ou non). Tous les États reconnaissent réciproquement que la cause de chacun est juste (égalité juridique et morale). Cette conception permet de négocier un vrai traité de paix puisque l’ennemi de la veille n’est pas un criminel, mais un adversaire ayant lutté pour une juste cause, la sienne, avec qui il convient de définir un nouvel équilibre par des concessions mutuelles. Ainsi respecté, l’ancien ennemi peut devenir l’allier du lendemain. Ce droit des gens européen irrigua la civilisation européenne à son apogée, que célébra Voltaire en 1751 dans son Siècle de Louis XIV. Il fut une première fois écorné par la Révolution française et le jacobinisme, mais il fut rétabli après 1815. Il ne fut abandonné qu’après 1918 et plus encore après 1945. Entre-temps, le jacobinisme incarné par Clemenceau, la révolution bolchevique, le nazisme et le puritanisme américain avaient réintroduit sous des formes nouvelles l’idée de la « guerre juste » et la criminalisation de l’ennemi. »

Dominique Venner, « Histoire et tradition des Européens », éditions du Rocher, 2004, pp. 238-240.

« Ce qui est européen »

« Ce qui est européen, c’est […] l’ambition qu’a l’esprit de laisser après lui le témoignage de tout ce qu’il y a en lui, et de ne pas se soumettre en silence à des monarchies universelles et à des théocraties comme celles de l’Orient. »

Jacob Burckhardt