Une religion de la Cité

« Je tiens beaucoup à préciser que le paganisme, pour moi, dès le départ, n’a jamais été la volonté de forger un comportement religieux nouveau, mais essentiellement une défense des humanités gréco-latines et l’étude des racines culturelles de tous les autres grands groupes ethniques européens. Ces “humanités” nous dévoilaient une conception du droit et de l’État (des res publicae, des choses publiques : notons le pluriel !) qui pourrait parfaitement nous inspirer encore aujourd’hui. Je rappelle aux zélotes d’une religion caricaturale et sulpicienne que les notions de droit, propres aux Romains, aux Grecs et aux Germains, sont plus anciennes que la religion chrétienne et que ce sont eux qui forment véritablement l’armature de la civilisation européenne.

Bien sûr, j’ai toujours reproché aux cercles de la Nouvelle Droite de ne jamais avoir exploré cette veine-là et d’avoir voulu rétablir un culte païen, en ne tenant pas compte du fait que l’Europe pré-chrétienne était animée par une religion de la Cité, c’est-à-dire une religion éminemment politique et non prioritairement esthétique, morale ou éthique. En voulant théoriser une “éthique païenne” ou recréer ex nihilo une “esthétique païenne”, avant de rétablir le droit romain ou germanique dans sa plénitude et dans son sens initial, les vedettes les plus bruyantes de la “Nouvelle Droite” ont fait du christianisme inversé, ont tout simplement joué, comme des adolescents irrévérencieux, à renverser les tabous de leur éducation catholique. C’était stupide et peu constructif. »

« Nationalisme, concert européen impérial, nouvelle droite et renouveau catholique », entretien avec Robert Steuckers, 1994.

Pour en finir avec le multiculturalisme

Via Laurent Ozon

Pièce jointe : « Le multiculturalisme est un leurre »

Comme l’a remarqué Élie Barnavi, « le multiculturalisme est un leurre », qui continue de séduire nombre d’intellectuels et d’hommes politiques en Europe. Il se fonde implicitement sur un essentialisme culturel qui mine les fondements de tout ordre politique. Ses défenseurs ont jeté la confusion dans les milieux antiracistes en définissant le racisme par le rejet du multiculturalisme. Dès lors, toute critique du projet multicommunautariste est soupçonnée d’exprimer une vision raciste, alors même que le multiculturalisme ressemble fort à ce monstre que serait un « multiracisme ».

Les illusions pseudo-antiracistes suscitées par cette absolutisation de la différence culturelle et ce culte de la diversité culturelle en dissimulent mal les effets pervers :

– Fragmentation conflictuelle de l’espace public,
– Ethno-racialisation des rapports sociaux,
– Individualisation négative,
– La généralisation normative des ségrégations,
– Accroissement de la défiance entre les groupes séparés
– Destruction de la vie civique, mettant en danger le régime démocratique.

Dans un article retentissant publié en juin 2007, le sociologue et politiste Robert Putnam formule un certain nombre de conclusions qu’on peut réduire à quatre thèses :

1° Plus la diversité ethnique grandit, plus la confiance entre les individus s’affaiblit ;
2° Dans les communautés les plus diversifiées, les individus ont moins confiance en leurs voisins ;
3° Dans ces mêmes communautés, non seulement la confiance inter-ethnique est plus faible qu’ailleurs, mais la confiance intra-ethnique l’est aussi ;
4° La diversité ethnique conduit à l’anomie et à l’isolement social.

De telles conclusions, établies à partir d’une enquête conduite d’une manière exemplairement scientifique sur un échantillon d’environ 30 000 individus, ne peuvent qu’affoler les adeptes du « politiquement correct » en matière d’immigration, célébrée comme une « richesse », et les partisans du multiculturalisme, présentée comme la voie unique vers le nouvel avenir radieux.

L’horizon ainsi dessiné est plutôt sombre : le surgissement de sociétés multi-raciales et multiculturelles que favorise l’ouverture démocratique aura pour conséquences majeures le déclin de l’engagement civique et le délitement du lien social, remplacé par la défiance ou l’indifférence. Trop de diversité tuerait la tolérance et ruinerait la solidarité sociale comme l’esprit civique.

Dès lors, l’offre islamiste, centrée sur l’identité et la solidarité de groupe, deviendrait particulièrement attractive aux yeux des « communautés » diverses de culture musulmane. C’est dans ce contexte convulsif qui s’annonce, à l’heure du Jihad mondial, que les réseaux islamistes risquent de prendre leur essor en tout territoire situé hors de la « demeure de l’islam ».

Pierre-André Taguieff

Empire et Europe

Armoiries-du-St-Empire

« […] Frédéric II Hohenstaufen, sorte de surdoué, très tôt orphelin de père et de mère, virtuose des techniques de combat, intellectuel formé à toutes les disciplines, doté de la bosse des langues vivantes et mortes, se …verra refuser d’abord la dignité impériale par l’autocrate Innocent III : « C’est au Guelfe que revient la Couronne car aucun Pape ne peut aimer un Staufer ! » Ce que le Pape craint par-dessus tout c’est l’union des Deux-Siciles (Italie du Sud) et l’Empire germano-italien, union qui coincerait les États pontificaux entre deux entités géopolitiques dominées par une seule autorité. Frédéric II a d’autres plans, avant même de devenir Empereur : au départ de la Sicile, reconstituer, avec l’appui d’une chevalerie allemande, espagnole et normande, l’œcumène romano-méditerranéen.

Son projet était de dégager la Méditerranée de la tutelle musulmane, d’ouvrir le commerce et l’industrie en les couplant à l’atelier rhénan-germanique. C’est la raison de ses croisades, qui sont purement géopolitiques et non religieuses : la chrétienté doit demeurer, l’islam également, ainsi que les autres religions, pour autant qu’elles apportent des éclairages nouveaux à la connaissance. En ce sens, Frédéric II redevient « romain », par une tolérance objective, ne cherchant que la rentabilité pragmatique, qui n’exclut pas le respect pieux des valeurs religieuses : cet Empereur qui ne cesse de hanter les grands esprits (Brion, Benoist-Méchin, Kantorowicz, de Stefano, Horst, etc.) est protéiforme, esprit libre et défenseur du dogme chrétien, souverain féodal en Allemagne et prince despotique en Sicile ; il réceptionne tout en sa personne, synthétise et met au service de son projet politique. Dans la conception hiérarchique des êtres et des fins terrestres que se faisait Frédéric II, l’Empire constituait le sommet, l’exemple impassable pour tous les autres ordres inférieurs de la nature. De même, l’Empereur, également au sommet de cette hiérarchie par la vertu de sa titulature, doit être un exemple pour tous les princes du monde, non pas en vertu de son hérédité, mais de sa supériorité intellectuelle, de sa connaissance ou de ses connaissances.

[…] L’Empereur, donc le politique, est également responsable du savoir, de la diffusion de la « vérité » : en créant l’université de Naples, en fondant la faculté de médecine de Salerne, Frédéric II affirme l’indépendance de l’Empire en matière d’éducation et de connaissance. Cela ne lui fut pas pardonné (destin de ses enfants).

L’échec du redressement de Frédéric II a sanctionné encore davantage le chaos en Europe centrale. L’Empire qui est potentiellement facteur d’ordre n’a plus pu l’être pleinement. Ce qui a conduit à la catastrophe de 1648, où le morcellement et la division a été savamment entretenue par les puissances voisines, en premier lieu par la France de Louis XIV. Les autonomies, apanages de la conception impériale, du moins en théorie, disparaissent complètement sous les coups de boutoir du centralisme royal français ou espagnol. Le « droit de résistance », héritage germanique et fondement réel des droits de l’homme, est progressivement houspillé hors des consciences pour être remplacé par une théorie jusnaturaliste et abstraite des droits de l’homme, qui est toujours en vigueur aujourd’hui.

Toute notion d’Empire aujourd’hui doit reposer sur les quatre vertus de Frédéric II Hohenstaufen : justice, vérité, miséricorde et constance. L’idée de justice doit se concrétiser aujourd’hui par la notion de subsidiarité, donnant à chaque catégorie de citoyens, à chaque communauté religieuse ou culturelle, professionnelle ou autre, le droit à l’autonomie, afin de ne pas mutiler un pan du réel. La notion de vérité passe par une revalorisation de la « connaissance », de la « sapience » et d’un respect des lois naturelles. La miséricorde passe par une charte sociale exemplaire pour le reste de la planète. La notion de constance doit nous conduire vers une fusion du savoir scientifique et de la vision politique, de la connaissance et de la pratique politicienne quotidienne.

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Nul ne nous indique mieux les pistes à suivre que Sigrid Hunke, dans sa persepective « unitarienne » et européo-centrée : affirmer l’identité européenne, c’est développer une religiosité unitaire dans son fonds, polymorphe dans ses manifestations ; contre l’ancrage dans nos esprits du mythe biblique du péché originel, elle nous demande de réétudier la théologie de Pélagius, l’ennemi irlandais d’Augustin. L’Europe, c’est une perception de la nature comme épiphanie du divin : de Scot Erigène à Giordano Bruno et à Gœthe. L’Europe, c’est également une mystique du devenir et de l’action : d’Héraclite, à Maître Eckhart et à Fichte. L’Europe, c’est une vision du cosmos où l’on constate l’inégalité factuelle de ce qui est égal en dignité ainsi qu’une infinie pluralité de centres, comme nous l’enseigne Nicolas de Cues.

Sur ces bases philosophiques se dégageront une nouvelle anthropologie, une nouvelle vision de l’homme, impliquant la responsabilité (le principe « responsabilité ») pour l’autre, pour l’écosystème, parce que l’homme n’est plus un pécheur mais un collaborateur de Dieu et un miles imperii, un soldat de l’Empire. Le travail n’est plus malédiction ou aliénation mais bénédiction et octroi d’un surplus de sens au monde. La technique est service à l’homme, à autrui.

Par ailleurs, le principe de « subsidiarité », tant évoqué dans l’Europe actuelle mais si peu mis en pratique, renoue avec un respect impérial des entités locales, des spécificités multiples que recèle le monde vaste et diversifié. Le Prof. Chantal Millon-Delsol constate que le retour de cette idée est due à 3 facteurs :

1. La construction de l’Europe, espace vaste et multiculturel, qui doit forcément trouver un mode de gestion qui tiennent compte de cette diversité tout en permettant d’articuler l’ensemble harmonieusement. Les recettes royales-centralistes et jacobines s’avérant obsolètes.

2. La chute du totalitarisme communiste a montré l’inanité des « systèmes » monolithiques.

3. Le chômage remet en cause le providentialisme d’État à l’Ouest, en raison de l’appauvrissement du secteur public et du déficit de citoyenneté. « Trop secouru, l’enfant demeure immature ; privé d’aide, il va devenir une brute ou un idiot ».

La construction de l’Europe et le ressac ou l’effondrement des modèles conventionnels de notre après-guerre nécessite de revitaliser une « citoyenneté d’action », où l’on retrouve la notion de l’homme coauteur de la création divine et l’idée de responsabilité. Tel est le fondement anthropologique de la subsidiarité, ce qui a pour corollaire : la confiance dans la capacité des acteurs sociaux et dans leur souci de l’intérêt général ; l’intuition selon laquelle l’autorité n’est pas détentrice par nature de la compétence absolue quant à la qualification et quant à la réalisation de l’intérêt général.

Mais, ajoute C. Millon-Delsol, l’avènement d’une Europe subsidiaire passe par une condition sociologique primordiale : la volonté d’autonomie et d’initiative des acteurs sociaux, ce qui suppose que ceux-ci n’aient pas été préalablement brisés par le totalitarisme ou infantilisés par un État paternel (solidarité solitaire par le biais de la fiscalité ; redéfinition du partage des tâches). Notre tâche dans ce défi historique, donner harmonie à un grand espace pluriculturel, passe par une revalorisation des valeurs que nous avons évoquées ici en vrac au sein de structures associatives, préparant une citoyenneté nouvelle et active, une milice sapientiale. »

Robert Steuckers, extrait de « La Notion d’Empire, de Rome à nos jours », conférence prononcée à la tribune du « Cercle Hélios », Île-de-France, 1995.

Lien source : dossier EMPIRE sur Vouloir.

Le principe

Pour comprendre aussi bien l’esprit traditionnel que la civilisation moderne en tant que négation du premier, il faut partir d’un point fondamental : la doctrine des deux natures.

Il y a un ordre physique et il y a un ordre métaphysique. Il y a la nature mortelle et il y a la nature des immortels. Il y a la région supérieure de « l’être » et il y a la région inférieure du « devenir ». Plus généralement : il y a ce qui est visible et tangible et, avant tout cela, il y a ce qui n’est ni tangible ni visible en tant que supramonde, principe et vie véritable.

Cette connaissance a été présente partout et toujours dans le monde de la Tradition, en Orient ou en Occident, sous une forme ou sous une autre : comme un axe inébranlable auquel tout le reste était ordonné.

Nous disons connaissance, et non « théorie ». Si difficilement concevable que cela soit pour les modernes, il faut partir de l’idée que l’homme traditionnel connaissait la réalité d’un ordre de l’être bien plus vaste que ce à quoi correspond aujourd’hui, en règle générale, le mot « réel ». De nos jours, au fond, on entend seulement par « réalité » le monde des corps dans l’espace et dans le temps. Certes, d’aucuns admettent encore l’existence de quelque chose au-delà du sensible : mais puisque c’est toujours à titre d’hypothèse ou de loi scientifique, en fonction d’une idée spéculative ou d’un dogme religieux, qu’on admet l’existence de ce quelque chose, on ne dépasse pas de manière effective la limitation indiquée plus haut : pratiquement, à savoir dans l’ordre de l’expérience directe, quelle que soit la variété de ses croyances « matérialistes » et « spiritualistes », l’homme moderne normal ne se forme son image de la réalité qu’en fonction du monde des corps.

Tel est le vrai matérialisme qu’il faut reprocher aux modernes : leurs autres matérialismes, au sens d’opinions philosophiques ou scientifiques, sont des phénomènes secondaires. En ce qui concerne le premier matérialisme, il n’est donc pas question d’une opinion ou d’une « théorie », mais de l’état de fait propre à un type humain dont l’expérience ne sait plus saisir que des choses corporelles. C’est pourquoi la grande majorité des révoltes intellectuelles contemporaines contre les vues « matérialistes » relèvent des vaines réactions contre les effets ultimes et périphériques de causes reculées et profondes qui se sont établies il y a fort longtemps, et dans un domaine tout à fait différent des « théories ».

L’expérience de l’homme traditionnel, comme on peut l’observer aujourd’hui encore, à titre de résidu, chez certaines populations dites « primitives », allait très au-delà d’une telle limite. L’ « invisible » y figurait comme un facteur tout aussi réelet même plus réel, que les données des sens physiques. Et chaque catégorie de la vie, aussi bien individuelle que collective, en tenait compte.

Si ce qu’on appelle aujourd’hui réalité n’était donc, pour le monde de la Tradition, qu’une espèce rentrant dans un genre bien plus vaste, ce monde n’identifiait pas pour autant, sans moyen terme, l’invisible au « surnaturel ». A la notion de « nature » ne correspondait pas seulement, pour la Tradition, le monde des corps et des formes visibles sur lequel s’est concentrée la science sécularisée des modernes, mais aussi, et essentiellement, une partie de la réalité invisible elle-même. Le sentiment était très fort d’un monde « infernal »* peuplé de toute une variété de forces obscures et ambiguës – âme démonique de la nature, substrat essentiel de toutes les formes et énergies de celle-ci -, à l’opposé duquel brillait la clarté surnaturelle et sidérale d’une région plus haute. En outre, dans la « nature » rentrait traditionnellement tout ce qui est seulement humain, l’humain n’échappant pas au destin marqué par la naissance et la mort, non plus qu’à l’impermanence, la dépendance et l’altération propres à la région inférieure. Par définition, l’ordre de « ce-qui-est » ne saurait entretenir de relation avec des états humains, des conditions humaines ou temporelles : « la race des hommes est une chose, la race des dieux en est une autre » – nonobstant le fait qu’on concevait que la référence à l’ordre supérieur supramondain pût orienter l’intégration et la purification de l’humain dans le non humain, lesquelles, nous le verrons, constituaient l’essence et la fin ultime de toute civilisation authentiquement traditionnelle.

Monde de l’être et monde du devenir – des choses, des démons et des hommes. Du reste, toute représentation hypostatique – astrale, mythologique, théologique ou religieuse – de ces deux régions, renvoyait l’homme traditionnel à deux états, avait valeur de symbole à résoudre dans une expérience intérieure ou dans le pressentiment d’une expérience intérieure. Ainsi dans la tradition hindoue, et spécialement dans le bouddhisme, l’idée du samsâra – le « courant » qui domine et transporte toutes les formes du monde inférieur – est-elle étroitement associée à une vision de la condition humaine comme désir aveugle, identification Irrationnelle. De même, l’hellénisme personnifia souvent dans la « nature » l’éternelle « privation » de ce qui, pour avoir hors de soi son principe et son acte propres, coule et se fuit indéfiniment, et dont le devenir accuse précisément un abandon originel et radical, un manque perpetuel de limite.** Dans ces traditions, la « matière » et le devenir expriment ce qui, dans un être, est indétermination incoercible ou nécessité obscure, impuissance à s’accomplir dans une forme parfaite, à se posséder dans une loi  : ?nahka?on et ?peiron, disaient les Grecs ; adharma, disaient les Orientaux. Et la scolastique exprima des idées analogues en reconnaissant dans la cupiditas et l’appetitus innatus la racine de toute nature non rachetée. D’une manière ou d’une autre, l’homme de la Tradition decouvrit donc dans l’expérience de l’identification désirante qui, enténèbre et altère l’être, le secret de cette situation, le devenir incessant, l’instabilité et la contingence perpétuelles de la région inférieure apparaissent comme une matérialisation cosmico-symbolique de cette situation.

A l’opposé, dans le fait de s’appartenir et de se donner une forme dans Ia possession en soi du principe d’une vie non plus dispersée, ne se precipitant plus çà et là en quête de l’autre ou des autres pour se completer et pour se justifier, non plus brisée par la nécessité et par la pulsion irrationnelle tournée vers l’extérieur et le différent – en un mot dans l’expénence de l’ascèse, on reconnut la voie pour comprendre l’autre région, Ie monde de l’« être », de ce qui n’est plus physique mais métaphysique – « nature intellectuelle privée de sommeil », et dont les symboles solaires, les regions ouraniennes, les êtres de lumière ou de feu, les îles et les hauteurs montagneuses furent traditionnellement les images.

Telles sont les « deux natures ». Et l’on conçut une naissance selon l’une et une naissance selon l’autre nature, et le passage de l’une à l’autre naIssance, car iI fut dit : « Un homme est un dieu mortel, et un dieu un homme Immortel ». ***

Le monde traditionnel connut ces deux grands pôles de l’existence et les voies qui mènent de l’un à l’autre. Au-delà du monde, dans la totalité de ces formes aussi bien visibles que souterraines, aussi bien humaines qu’infra-humaines, démoniques, il connut donc un « supramonde », le monde représentant une « chute » par rapport au supramonde, et celui-ci une « libération » par rapport au monde. Il connut la, spitirualité comme ce qui se tient par-delà la vie et la mort. Il sut que l’existence extérieure, la « vie », n’est rien si elle n’est pas rapprochement du supramonde, du « plus-que-vivre », si sa fin la plus haute n’est pas la participation au supramonde et une libération active du lien humain. Il sut que fausse est toute autorité, injuste et violente toute loi, vaine et éphémère toute institution, si ces autorités, ces lois et ces institutions ne sont pas ordonnées au principe supérieur de l’Etre – par le haut et vers le haut.

Le monde traditionnel connut la Royauté Divine. Il connut l’acte de passage – l’Initiation ; les deux grandes voies du rapprochement l’Action héroïque et la Contemplation ; la médiation – le Rite et la Fidélité ; le grand soutien : la Loi traditionnelle, la Caste ; le symbole terrestre : l’Empire.

Tels sont les fondements de la hiérarchie et de la civilisation traditionnelles, intégralement détruites par la triomphante civilisation « humaine» des modernes.

Julius Evola, « Révolte contre le monde moderne ».

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* « lnfero » dans Ie texte : cet adjectif, qui dérive du latin inferus, n’a pas d’équivalent exact en français. Il ne saurait être traduit fidèlement ni par « inférieur », ni par« infernal ». Sa racine indique la disposition basse et enterrée de certains lieux ; son sens dérivé renvoie à des réalités (pensées, impulsions, manœuvres, etc.) troubles, insidieuses, obliques, néfastes. On a choisi de rendre infero par « inférieur » ou par « infernal » selon le contexte [N.D.T.].
** Expressions caractéristiquces chez Plotin Ennéades, I, viii, 4-7 ; II, xxi, 5-8 ; . VI, vi, 1 ; II, ix, 4. Cf. Plutarque, Isis et Osiris, 56.
*** Cf. Héraclite (éd. Diels, fragment 62) ; Corpus Hermeticum, XII, 1.