Œuvre divine

« Tout présent n’est jamais pour moi que la queue qui me permet d’attraper le passé et le futur. Le réceptacle infiniment profond et invisible… Heureux, je ne le suis pas, c’est œuvre humaine ; malheureux, je ne le suis pas, c’est œuvre humaine aussi ; je suis tout, c’est œuvre divine.

Rien n’est isolé dans le monde et tout s’affirme par opposition. La vérité, qui mène au sacré, est comme un flux de lumière que tout le monde doit boire et qui dessille les yeux ; oui, je crois que la vision et ce qui est vu sont uns et simultanés, cela en un sens éminent. »

Clemens Brentano, cité par Gustav Landauer in « La communauté par le retrait ».

De l’esprit ultime

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Krishna :

En haut, ses racines, en bas, ses branches,
tel est l’arbre cosmique immuable.
Les hymnes en sont les feuilles.
Qui le connaît
connaît la connaissance.

En bas, c’est vers le haut
que s’étendent ses branches nourries par la vie.
Les objets en sont les bourgeons.
En haut, c’est vers le bas
que se déploient ses racines
reliées aux actions dans le monde des hommes.

On ne peut ici-bas en percevoir la forme,
ni son terme, ni son commencement,
ni son envergure.
Et quand on a tranché cet arbre
aux racines si fortes,
grâce à l’épée du non-attachement,

on peut alors marcher vers le séjour
où, une fois rendu, il n’est plus de retour possible.
En vérité, cet arbre est l’homme originel
d’où a surgi tout mouvement,
voici longtemps.

Soustrait aux illusions de la pensée,
vainqueur des maux de tout attachement,
éternellement en soi-même,
sans plus jamais alors éprouver de désir,
libre de la dualité
connue comme souffrance et plaisir,
on atteint, enfin, sans erreur possible,
au séjour immuable.

Ne l’éclairent ni soleil, ni lune, ni feu.
Une fois rendu là,
il n’est plus de retour,
c’est la demeure ultime.

En vérité, une parcelle de moi-même,
dans le monde vivant,
existe depuis toujours dans l’homme.
C’est elle qui attire à elle la pensée
et les cinq autres sens
qui sont faits de matière.

Quand l’âme universelle vient habiter un corps,
et quand, aussi, elle le quitte,
elle emporte les sens avec elle
comme le vent emporte les parfums.

Établie dans l’oreille et dans l’oeil,
dans le toucher, la saveur et l’odeur,
présente aussi dans la pensée,
c’est ainsi qu’avec les choses elle a commerce.

Son départ, sa présence ou son activité vitale,
abusé par les formes, on ne les perçoit pas.
C’est par l’oeil de la connaissance
qu’uniquement on le perçoit.

Quand on est détaché, c’est l’attention
qui nous fait voir en soi cette âme universelle.
Mais, si l’on est inaccompli,
l’attention ne nous sert à rien,
nous n’avons pas les moyens de voir.

La lumière au coeur du soleil
qui éclaire l’univers entier,
la lumière au coeur de la lune,
et la lumière au coeur du feu,
sache que c’est ma lumière.

Pénétrant dans le sol, c’est par mon énergie
que je soutiens ce qui existe,
que je nourris toutes les plantes
car je deviens soma dont l’essence est saveur.

Je suis le feu vital dans le corps
de tout ce qui respire.
Uni aux souffles, c’est moi
qui résorbe les aliments.

Au coeur de toute chose, j’existe pleinement,
de moi proviennent
attention, connaissance et raison.
Et par tous les Veda je puis être connu,
mais je mets un terme aux Veda,
je suis celui qui les connaît.

Vois qu’il existe en ce monde deux consciences,
la périssable et l’impérissable
La périssable, c’est tout ce qui existe,
et l’impérissable,
on dit qu’elle réside en un point.

Mais la conscience ultime est tout autre,
on l’appelle l’âme suprême.
Elle pénètre la triade des mondes
dont elle est le soutien,
c’est le Dieu immuable.

Puisque je suis au-delà du périssable,
au-delà même de l’impérissable,
je suis connu, dans l’univers et dans la connaissance,
comme Conscience ultime.

Savoir très clairement
que je suis la Conscience ultime,
c’est savoir toute chose et partager ce que je suis
à travers chaque chose existante.

Voilà le plus profond de ce qu’il faut savoir
et que je viens de dire, Arjuna.
Si l’on en prend conscience,
on peut avoir un vrai discernement,
et ce qu’il fallait faire faire est alors accompli.

Bhagavad-gîtâ, XV, « De l’esprit ultime », arléa 2004.