La pierre

La pierre

Tout l’hiver
la pierre m’a regardé
du bord de la pelouse
et tout l’hiver j’ai désiré
que vienne le soleil de printemps
qu’il sèche l’humidité glacée
sur ma taciturne amie.

Ce matin la lumière aux candeurs de brasier
a frappé la pierre, et voyez :
des vers se glissaient hors de ses trous.

~

Steinninn

Vetrarlangt hefur steinninn
horft til mín úr varpanum
og vetrarlangt hef ég óskað
að vorsólin kæmi
og þerraði kaldan saggann
af hinum þögla vini mínum.

Í morgun hefur hið bálhvíta ljós
fallið á steininn og sjá:
það skriðu ormar úr holum hans.

Stefan Hördur Grimsson, « Danse des elfes noirs », « Svartáfaldans », traduit de l’islandais par Régis Boyer in « Stefan Hördur Grimsson, choix de poèmes ». La Barbacane / Unesco, 1996.

Destin

« […] Pour la saga, l’homme est en grande partie responsable de son destin, je dirai même maître de son destin. On possède de cela d’innombrables illustrations, la plus tragique étant celle de Gísli le proscrit (« Gísla saga Súrssonar »), la plus touchante, celle d’Audunn des fjords de l’ouest (« Audunar tháttr vestfirzka »). L’homme des sagas n’a pas choisi d’être tel qu’il est, mais il lui appartient : d’admettre ce qu’il est, de l’accepter, de l’assumer. Dans cette série de verbes tient toute la grandeur épique des sagas. Notion grandiose, et d’un caractère tragique éminent. Ce qui fait la grandeur de l’homme, ce n’est pas une révolte, vaine, contre le destin : c’est de le prendre à son compte, de s’en faire l’artisan lucide, volontaire, conscient. Alors, les perspectives se renversent : il n’y a plus de victime de la fatalité. Bien avant Spinoza, les anciens Islandais savaient que la liberté est consentement à un ordre. Rien d’écrasé, d’implorant ni de tremblant dans leur attitude. Plutôt une grande volonté de se connaître, de s’accepter, puis de s’accomplir. »

Régis Boyer, « Mœurs et psychologie des anciens Islandais », I – Conception du destin, p. 18, éditions du Porte-Glaive, 1987.

Sagesse

Éternité

« Modérément sage
Devrait être chacun,
Jamais trop sage ;
A ceux-là
La vie est la plus belle
Qui n’en savent pas plus qu’il ne faut.

Modérément sage
Devrait être chacun,
Jamais trop sage ;
Car l’esprit du sage
Rarement est joyeux
Si la sagesse est suprême. »

Edda poétique, « Hávámál », 54, 55. Trad. Régis Boyer.