« Mais seule reste encore la légende du chemin
(sur lequel s’ouvre) ce qu’il en est d’être ;
sur ce (chemin), le montrant, il y a quantité de choses ;
comment être est sans naître et sans périr,
se tenant seul là tout entier aussi bien
que sans tremblement en soi et n’ayant jamais eu besoin d’être terminé ;
il n’était pas non plus autrefois ni ne sera quelque jour,
car, étant le présent, il est tout à la fois ; unique, unissant, uni,
se rassemblant en soi à partir de soi (tenant ensemble plein de présence). »

Parménide d’Élée, VIII, I-6.

« Ces quelques mots sont là dressés comme des statues grecques archaïques. Ce que nous possédons encore du poème didactique de Parménide tient en un mince cahier, qui bien entendu réduit à rien les prétentions de bibliothèques entières d’ouvrages philosophiques, qui croient à la nécessité de leur existence. Celui qui connaît les dimensions d’un tel dire pensant doit, aujourd’hui, perdre toute envie d’écrire des livres.

Cela, qui est dit à partir de l’être, ce sont des ??????, non pas des signes de l’être, ni des prédicats, mais ce qui, lorsqu’on tourne les yeux vers l’être, le montre lui-même à partir de lui-même. En effet, dans une telle vue sur l’être, nous devons éloigner de l’être tout naître et tout périr, etc. : par le voir les tenir loin, les éliminer. Ce qui est tenu éloigné par ?- et ???? n’est pas à la mesure de l’être. Sa mesure est tout autre.

Nous pouvons conclure de tout cela : dans ce dire l’être se montre comme la solidité propre du stable rassemblé sur soi, pur de toute agitation et de tout changement. Aujourd’hui encore, dans l’exposé des origines de la philosophie occidentale, on a coutume d’opposer cette doctrine à celle d’Héraclite, en croyant pourvoir lui attribuer le mot souvent cité : ????? ???, tout est en écoulement. Par suite, il n’y a pas d’être. Tout “est” devenir.

Si l’on se satisfait parfaitement de voir se manifester de telles oppositions, ici l’être, là le devenir, c’est qu’ainsi on peut déjà attester dès le commencement de la philosophie ce qui est censé se poursuivre à travers toute son histoire, à savoir que là où un philosophe dit A, l’autre dit B, ce qui n’empêche pas celui-ci de dire A lorsque le premier dit B. En revanche si quelqu’un assure que, dans l’histoire de la philosophie, tous les penseurs disent au fond la même chose, c’est là une prétention qui déconcerte le sens commun. À quoi sert encore l’histoire multiforme et embrouillée de la philosophie occidentale, si tous disent en fin de compte la même chose ? En ce cas, il suffit d’une philosophie. Tout est toujours déjà dit. Mais ce « la même chose » a justement – et cela constitue sa vérité interne – la richesse inépuisable de ce qui est chaque jour comme si c’était son premier jour.

Héraclite, qu’on oppose brutalement à Parménide en lui attribuant la doctrine du devenir, dit en vérité la même chose que lui. Sinon, s’il disait autre chose, il ne serait pas un des plus grands parmi les grands penseurs grecs. Seulement il ne faut pas interpréter sa doctrine du devenir d’après les idées d’un darwiniste du XIXème siècle. Bien entendu, la présentation ultérieure de l’opposition de l’être et du devenir n’a jamais pu reposer aussi uniquement sur soi qu’elle le fait dans le dire de Parménide. Ici, à cette grande époque, le dire de l’être de l’étant en a lui-même l’estance (latente) de l’être qu’il dit. C’est dans une telle nécessité historiale que réside le secret de la grandeur. »

Martin Heidegger, « Introduction à la métaphysique », « La limitation de l’être », Tel gallimard.

« Mais seule reste encore la légende du chemin

(sur lequel s’ouvre) ce qu’il en est d’être ;

sur ce (chemin), le montrant, il y a quantité de choses ;

comment être est sans naître et sans périr,

se tenant seul là tout entier aussi bien

que sans tremblement en soi et n’ayant jamais eu besoin d’être terminé ;

il n’était pas non plus autrefois ni ne sera quelque jour,

car, étant le présent, il est tout à la fois ; unique, unissant, uni,

se rassemblant en soi à partir de soi (tenant ensemble plein de présence).

Ces quelques mots sont là dressés comme des statues grecques archaïques. Ce que nous possédons encore du poème didactique de Parménide tient en un mince cahier, qui bien entendu réduit à rien les prétentions de bibliothèques entières d’ouvrages philosophiques, qui croient à la nécessité de leur existence. Celui qui connaît les dimensions d’un tel dire pensant doit, aujourd’hui, perdre toute envie d’écrire des livres.

Cela, qui est dit à partir de l’être, ce sont des ??????, non pas des signes de l’être, ni des prédicats, mais ce qui, lorsqu’on tourne les yeux vers l’être, le montre lui-même à partir de lui-même. En effet, dans une telle vue sur l’être, nous devons éloigner de l’être tout naître et tout périr, etc. : par le voir les tenir loin, les éliminer. Ce qui est tenu éloigné par ?– et ???? n’est pas à la mesure de l’être. Sa mesure est tout autre.

Nous pouvons conclure de tout cela : dans ce dire l’être se montre comme la solidité propre du stable rassemblé sur soi, pur de toute agitation et de tout changement. Aujourd’hui encore, dans l’exposé des origines de la philosophie occidentale, on a coutume d’opposer cette doctrine à celle d’Héraclite, en croyant pourvoir lui attribuer le mot souvent cité : ????? ???, tout est en écoulement. Par suite, il n’y a pas d’être. Tout “est” devenir.

Si l’on se satisfait parfaitement de voir se manifester de telles oppositions, ici l’être, là le devenir, c’est qu’ainsi on peut déjà attester dès le commencement de la philosophie ce qui est censé se poursuivre à travers toute son histoire, à savoir que là où un philosophe dit A, l’autre dit B, ce qui n’empêche pas celui-ci de dire A lorsque le premeir dit B. En revanche si quelqu’un assure que, dans l’histoire de la philosophie, tous les penseurs disent au fond la même chose, c’est là une prétention qui déconcerte le sens commun. À quoi sert encore l’histoire multiforme et embrouillée de la philosophie occidentale, si tous disent en fin de compte la même chose ? En ce cas, il suffit d’une philosophie. Tout est toujours déjà dit. Mais ce “la même chose” a justement – et cela constitute sa vérité interne – la richesse inépuisable de ce qui est chaque jour comme si c’était son premier jour.

Héraclite, qu’on oppose brutalement à Parménide en lui attribuant la doctrine du devenir, dit en vérité la même chose que lui. Sinon, s’il disait autre chose, il ne serait pas un des plus grands parmi les grands penseurs grecs. Seulement il ne faut pas interpréter sa doctrine du devenir d’après les idées d’un darwiniste du XIXème siècle. Bien entendu, la présentation ultérieure de l’opposition de l’être et du devenir n’a jamais pu reposer aussi uniquement sur soi qu’elle le fait dans le dire de Parménide. Ici, à cette grande époque, le dire de l’être de l’étant en a lui-même l’estance (latente) de l’être qu’il dit. C’est dans une telle nécessité historiale que réside le secret de la grandeur.”

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