« En faveur de la critique. – Quelque chose que tu as aimé autrefois comme une vérité ou une vraisemblance t’apparaît aujourd’hui comme une erreur : tu le repousses loin de toi et t’imagines que ta raison a remporté en cela une victoire. Mais peut-être cette erreur te fut-elle alors, quand tu étais encore un autre – tu es toujours un autre – aussi nécessaire que tes « vérités » d’à présent, comme une sorte de peau qui te dissimulait et te cachait bien des choses que tu n’avais pas encore le droit de voir. C’est ta nouvelle vie qui a tué pour toi cette opinion, non pas ta raison : tu n’en as plus besoin, et désormais elle s’effondre sur elle-même, et la déraison s’en échappe en rampant comme de la vermine pour apparaître au grand jour. Lorsque nous critiquons, cela n’est en rien arbitraire ni impersonnel, – c’est, très souvent tout au moins, une preuve qu’existent en nous des forces vivantes qui font pression et sont en train de percer une écorce. Nous nions et devons nier parce que quelque chose en nous veut vivre et s’affirmer, quelque chose que nous ne connaissons peut-être pas encore, ne voyons pas encore ! – Cela dit en faveur de la critique. »
Friedrich Nietzsche, « Le Gai Savoir », Quatrième livre, 307.