« Une langue, vous le savez, n’est pas l’œuvre factice d’un homme ou de plusieurs, non plus que d’une académie, ni d’un quelconque régime. Une langue, à mon avis, est quelque chose d’auguste et de merveilleux, car c’est le réceptacle de cette haute lumière qu’on appelle le Verbe.
Vous avez ouï parler de ces couches de sédiments où se trouve écrite au cours des siècles l’histoire merveilleuse de la création du monde, où l’on voit des herbes géantes, des arbres carbonisés, des pierres coquillières, des animaux effrayants, qui sont les témoignages des révolutions du globe.
Eh ! bien, Messieurs et Mesdames, une langue ressemble à une concrétion minérale : car au fond d’une langue se sont déposés toutes les vicissitudes, tous les sentiments, toutes les pensées de dix, de vingt, de trente, de cent générations.
Une langue est un bloc : c’est un antique fondement où chaque passant a jeté sa pièce d’or, d’argent ou de cuivre : c’est un monument immense où chaque cité a bâti son pilier, où une race entière a travaillé de corps et d’âme pendant des centaines et des milliers d’années.
Une langue, en un mot, est la révélation de toute une vie, la manifestation de la pensée humaine, l’instrument sacro-saint des civilisations et le testament parlant des sociétés mortes ou vivantes.
Réjouissons-nous donc, ô frères et sœurs en Félibrige, d’avoir pour œuvre et pour tâche la conservation d’un idiome : et n’oublions jamais, tant Majoraux que Mainteneurs, que le premier devoir d’un véritable félibre est d’enseigner au peuple le respect de sa langue et le maintien de sa dignité de race. »
Frédéric Mistral, Discours à l’Assemblée de Sainte-Estelle d’Avignon, 21 mai 1877.
Lien source, qui contient le texte provençal : Lexilogos