« À la fin de la première guerre mondiale, durant laquelle il servit, en qualité d’engagé volontaire, comme sous-lieutenant dans l’artillerie après avoir suivi à Turin un cours accéléré, Julius Evola a vingt ans. Cette guerre, le jeune homme l’avait souhaitée. Non qu’il eut jamais été suffisamment naïf pour croire au bien-fondé de ce qu’il nommera plus tard avec un mépris pleinement justifié « les lieux communs patriotards les plus surannés de la propagande antigermanique » et autres balivernes tendant à élever le conflit au rang de « guerre pour la défense de la civilisation et de la liberté contre le barbare et l’agresseur ». L’idée d’une culpabilité principielle (pour ne pas dire ontologique) de l’Allemagne demeure étrangère à Evola dont les sympathies vont déjà tout naturellement aux Empires centraux, ce qui l’amène à écrire un article dans lequel il affirme que « quand bien même voudrait-on combattre contre l’Allemagne et non à ses côtés, il faudrait le faire en éprouvant ses propres principes, et non pas au nom des idéologies nationalistes et irrédentistes, ou des idéologies démocratiques, sentimentales et hypocrites de la propagande alliée ». Si la guerre lui semble nécessaire, c’est seulement en tant que « pur fait révolutionnaire », comme un moyen pour l’Italie de rompre avec la logique d’une société dont il supporte difficilement le climat « étouffant ». C’est que l’Evola de l’immédiat avant-guerre a lu les écrits de Giovanni Papini dans les revues Leonardo et Lacerba puis dans La Voce, et qu’il en garde le regret de ce qu’il considère comme « le seul Sturm und Drang que [sa] nation ait connu », la nostalgie de ce réveil, mi-réel mi-rêvé, de forces spirituellement aristocratiques dirigées contre l’hégémonie bourgeoise et les valeurs matérialistes et utilitaristes sur lesquelles les maîtres du monde assoient obscènement leur domination. Ces valeurs qu’Evola déteste depuis toujours et qu’il continuera à condamner jusqu’à son dernier souffle. Celles mêmes contre lesquelles se dressera bientôt le fascisme dans ce qu’il aura sans doute de meilleur.

L’expérience de la vie militaire est cependant une déception, faute de participation à des opérations d’envergure. Les « orages d’aciers » qui compteront tant dans la formation personnelle d’un Ernst Jünger ne sont pas au rendez-vous ; moins encore le sont le panache chevaleresque ou l’héroïsme « à l’antique » des combats d’homme à homme. Mais la guerre est néanmoins l’occasion d’une fracture. Evola, une fois la paix revenue, connaît en effet une crise intérieure grave provoquée par ce qu’il décrit comme « le sentiment de l’inconsistance et de la vanité des buts qui engagent normalement les activités humaines ». »

Jean-Paul Lippi, « Evola » collection Qui suis-je, éditions Pardès. Chapitre I.

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