« Il y avait encore ce jour-là de splendides amoncellements de nuages. Qu’une masse aussi chargée de lumière pût être soutenue par l’air semblait étrange. Au-dessus des nuages entassés à l’horizon, des nuages légers se dispersaient comme s’ils avaient été emportés par un coup de balai dans le bleu. Les nuages du dessous paraissaient supporter quelque chose, résister à quelque chose. L’excès de lumière et d’ombre enveloppait dans sa forme une sombre violence interne que semblait moduler, comme une musique, une rayonnante volonté créatrice.
De dessous les nuages, la mer venait vers eux, infiniment plus vaste et plus inchangeable que la terre. La terre ne semble jamais s’emparer de la mer, même dans ses fjords. Et en particulier sur un grand arc de plage, la mer envahit tout.
Les vagues montaient, se brisaient, refluaient. Leur tonnerre était semblable à l’intense paix du soleil d’été, à peine un bruit. Plutôt un silence à fracasser les oreilles. Lyrique métamorphose des vagues, non pas vagues, mais plutôt cascades de ce qu’on pourrait appeler l’éclat de rire et de moquerie des vagues envers elles-mêmes – cascades qui venaient mourir à leurs pieds, et refluaient encore.
Masaru jeta de côté un regard à sa femme.
Elle contemplait la mer. La brise de mer faisait voler ses cheveux, et le soleil ne semblait pas la troubler. Elle avait les yeux humides et presque un regard de reine. La bouche était sévèrement fermée. Elle tenait dans ses bras la petite Momoko, un an, qui portait un petit chapeau de paille.
Masaru lui avait déjà vu ce visage. Depuis la tragédie le visage de Tomoko avait eu souvent cette expression, comme si elle avait oublié sa propre existence, et comme si elle attendait quelque chose.
Il avait envie de lui poser légèrement la question : « Qu’est-ce que tu attends ? » Mais les mots se refusèrent. Il se dit qu’il le savait sans avoir à le demander.
Il serra plus fort la main de Katsuo. »
Yukio Mishima, « La mort en été ».