« Dans le culte des anciens Grecs se manifeste l’une des plus hautes idées religieuses de l’humanité. Disons-le : l’idée religieuse de l’esprit européen. Elle est très différente des idées religieuses des autres cultures, surtout celles qui, pour notre histoire et notre philosophie des religions, passent pour fournir le modèle de toute religion. Mais elle est essentiellement apparentée à toutes les formes de la pensée et des créations authentiquement grecques, et recueillie dans le même esprit qu’elles. Parmi les autres œuvres éternelles des Grecs, elle se dresse, majeure et impérissable, devant l’humanité. Ce qui, dans les autres religions, est toujours entravé et barré, se laisse admirer ici dans toute sa génialité : la capacité de voir le monde à la lumière du divin. Non pas un monde de l’aspiration et de l’espérance, ou un monde mystiquement présent dans les inquiétantes expériences de l’extase. Mais notre monde : celui auquel nous sommes nés, celui dont nous faisons partie, celui auquel nous sommes liés par les sens et auquel nous sommes redevables, par l’esprit, de toute vie et de toute plénitude. Les figures dans lesquelles ce monde s’est divinement ouvert aux Grecs n’attestent elles pas leur vérité par la vie qui est encore la leur aujourd’hui, par la permanence où nous pouvons encore les rencontrer, pourvu que nous nous arrachions aux emprises de la mesquinerie et que nous recouvrions un regard libre ? Zeus, Apollon, Athéna, Artémis, Dionysos, Aphrodite… là où l’on rend hommage aux idées de l’esprit grec, il n’est jamais permis d’oublier que c’en est le sommet et, d’une certaine manière, la substance même. Ces figures demeureront tant que l’esprit européen, qui a trouvé en elles son objectivation la plus riche, ne succombera pas totalement à l’esprit de l’Orient ou à celui du calcul pragmatique. »
Walter Friedrich Otto, « Les dieux de la Grèce », « Introduction », Payot 2004.