« Nous essayons de réfléchir à l’être de l’habitation. L’étape suivante sur notre chemin serait la question : qu’en est-il de l’habitation à notre époque* qui donne à réfléchir ? Partout on parle, et avec raison, de la crise du logement. On n’en parle pas seulement, on met la main à la tâche. On tente de remédier à la crise en créant de nouveaux logements, en encourageant la construction d’habitations, en organisant l’ensemble de la construction. Si dur et si pénible que soit le manque d’habitations, si sérieux qu’il soit comme entrave et comme menace, la véritable crise de l’habitation ne consiste pas dans le manque de logements. La vraie crise de l’habitation, d’ailleurs, remonte dans le passé plus haut que les guerres mondiales et que les destructions, plus haut que l’accroissement de la population terrestre et que la situation de l’ouvrier d’industrie. La véritable crise de l’habitation réside en ceci que les mortels en sont toujours à chercher l’être de l’habitation et qu’ils leur faut d’abords apprendre à habiter. Et que dire alors, si le déracinement (Heimatlosigkeit) de l’homme consistait en ceci que, d’aucune manière, il ne considère encore la véritable crise de l’habitation comme étant la crise (Not) ?
Dès que l’homme, toutefois, considère le déracinement, celui-ci déjà n’est plus une misère (Elend). Justement considéré et bien retenu, il est le seul appel qui invite les mortels à habiter.
Mais comment les mortels pourraient-ils répondre à cet appel autrement qu’en essayant pour leur part de conduire, d’eux-mêmes, l’habitation à la plénitude de son être ? Ils le font, lorsqu’ils bâtissent à partir de l’habitation et pensent pour l’habitation. »
Martin Heidegger, « Essais et conférences », « Bâtir Habiter Penser ».
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* Ndr. : L’édition originale du présent ouvrage d’où est tiré cet extrait date de 1954