Philosophie de la
Liberté (Die Philosophie der Freiheit)

Rudolf Steiner

Fondements de la science spirituelle selon l’anthroposophie. Rudolf Steiner aborde ici les problèmes de base de l’éthique et du processus de la connaissance.

Sommaire :

La science de la liberté

1 – L’action humaine consciente
2 – Le besoin de connaissance
3 – La pensée, instrument de conception du monde
4 – Le monde comme perception
5 – La connaissance de l’univers
6 – L’individualité humaine
7 – Existe-t-il des limites à la connaissance ?

La réalité de la liberté

8 – Les facteurs de la vie
9 – L’idée de liberté
10 – Philosophie de la liberté et Monisme
11 – La finalité dans l’univers et la finalité existencielle (Destination de l’homme)
12 – L’imagination morale (Darwinisme et moralité)
13 – La valeur de l’existence (Pessimisme et Optimisme)
14 – L’individualité et l’espèce

Derniers problèmes

Les conséquences du Monisme
Premier supplément à la nouvelle édition
Deuxième supplément

*

PRÉSENTATION

L’œuvre de Rudolf Steiner (1861-1925) occupe, dans l’histoire de la philosophie, une place à part. Sans doute y trouve-t-on les préoccupations de l’idéalisme allemand, mais son contenu est
nettement réaliste, et la méthode qui se veut expérimentale (1) appartient au courant scientifique.

Sorti de l’Ecole Polytechnique de Vienne qu’il fréquenta en vue d’y recevoir une formation d’ingénieur, Steiner avait étudié les mathématiques, la géométrie et les sciences (physique, chimie,
géologie, zoologie, biologie). S’intéressant plus particulièrement à la littérature et la philosophie, il termina ses études par la soutenance d’une thèse sur la Théorie de la
connaissance.

Un de ses professeurs, Karl Julius Schrœr, frappé par son savoir et la précocité de son esprit, le recommanda à l’éditeur Kürschner qui lui confia la tâche délicate de présenter et commenter
l’œuvre scientifique de Gœthe. Steiner avait alors vingt et un ans ! Le premier des quatre volumes provoqua l’étonnement des spécialistes. Son éditeur le félicita en ces termes : « Cette
publication a suscité l’approbation totale de mes amis qui savent apprécier à sa juste valeur l’extraordinaire pénétration d’une matière aussi difficile (la morphologie). A ma connaissance, votre
parfaite compréhension de l’attitude gœthéenne vous a permis de réaliser une œuvre supérieure à tout ce qui existe dans ce domaine ». (2)



Steiner constate dès l’abord que l’œuvre scientifique de Gœthe découle d’un mode inhabituel de contemplation, mais qu’elle n’en est pas moins rigoureusement scientifique, et que, même des études
telles que La métamorphose des plantes ne se réduisent pas à une simple création poétique. Il conclut à la nécessité d’en faire connaître les bases philosophiques. Dans sa Théorie de
la connaissance
(3), il met en évidence la sensibilité pour les valeurs qualitatives que Gœthe ajoute à l’analyse purement quantitative des phénomènes. Par de patients exercices, Gœthe avait
affiné son sens inné de l’observation jusqu’à développer une faculté que lui-même appela la perception « sensible-suprasensible ». Son attitude démontrait l’éveil possible, en chaque individu, de
facultés latentes, et les résultats obtenus constituaient une preuve expérimentale contre les « limites de la connaissance » postulées par Kant. Le fait de découvrir chez Gœthe un mode d’observer
et de penser confirmant ses propres expériences fut une révélation capitale pour Steiner.

Par la suite, Steiner devait être appelé comme collaborateur aux « Archives de Gœthe » à Weimar. Dans le cadre de l’édition monumentale entreprise par la Grande-Duchesse Sophie, il eut la
responsabilité d’établir une partie des textes de l’œuvre scientifique de Gœthe. De 1889 à 1897 il fut en rapport constant avec le monde scientifique et se consacra à l’étude comparée des
sciences depuis l’antiquité jusqu’à Newton, Darwin et Haeckel. Aussi se trouvait-il particulièrement bien armé pour affronter l’avènement du siècle de la science.

*


Homme de science, Steiner était également citoyen d’un autre monde. Dès son enfance, l’expérience métaphysique directe le plaça devant le problème fondamental de toute philosophie. « La
réalité du monde spirituel était pour moi aussi certaine que celle du monde sensible… Dès avant ma huitième année je distinguais les choses et les entités ‘que l’on voit’ de celles ‘que l’on ne
voit pas’ » (4). Mais comment concilier le monde des apparences et le monde de l’esprit ? Ce thème devait rester au centre de ses préoccupations philosophiques et ne trouver sa formulation
satisfaisante qu’en 1894, dans la première partie du présent ouvrage.

Adolescent, Steiner s’interrogeait sur les conditions premières de toute connaissance. Certain que la pensée est une réalité spirituelle suffisante par elle-même, il s’astreignit à la discipliner
pour la saisir à son état pur. D’autre part, connaissant la portée de la pensée humaine, Steiner pensait qu’il devait être possible de l’intensifier au point qu’elle ne restât pas étrangère aux
phénomènes sensibles. « Imaginer une ‘matière’ qui resterait en dehors de la pensée et dont nous n’aurions qu’un simple ‘reflet’, cela m’était insupportable » (5). A l’âge de quatorze ans,
Steiner fut attiré par le titre d’un livre qui semblait répondre à ses préoccupations intérieures : « La critique de la raison pure ».

Cet ouvrage de Kant contribua à affiner sa discipline intellectuelle, mais ne put l’aider à surmonter son insatisfaction devant toute conception dualiste du monde. Bien au contraire, 1’« en soi »
inconnaissable doublant le monde des apparences établissait d’inconditionnelles limites à la connaissance. Cette assertion, si elle suffisait à l’esprit spéculatif, ne pouvait satisfaire un
chercheur, pour qui la réalité de la pensée était non moins certaine que celle du monde sensible. Cette certitude était celle de l’expérience vécue. Non point que Steiner niât l’existence de
limites, mais il les pensait extensibles, à la mesure de la perfectibilité des facultés humaines.

La rencontre avec l’œuvre de Fichte fut une étape importante vers l’élaboration de sa propre doctrine philosophique. Fichte place le moi à l’origine, de sorte que parmi tous les
phénomènes possibles celui qui se déroule grâce au moi est privilégié : la pensée n’a plus besoin d’aucun support puisqu’elle trouve en elle-même sa suffisante explication. « Mes efforts dans le
domaine des concepts scientifiques précis m’avaient finalement conduit à voir dans l’activité du Moi humain le seul point de départ possible pour toute vraie connaissance.

Je me disais : lorsque le Moi est actif et qu’il observe lui-même cette activité, alors la conscience détient un
élément spirituel immédiat » (6).



Mais c’est finalement l’œuvre de Gœthe qui fut décisive pour l’édification d’une théorie fondamentale de la connaissance, à partir d’expériences de l’âme, conduites avec une rigueur
strictement scientifique. En 1892, Steiner publia une étude intitulée Vérité et science (7) qui, comme l’indique le sous-titre, est un « Prélude à une Philosophie de la Liberté ». Dans
cet ouvrage, il entreprend une analyse critique de la magistrale construction spéculative de Kant, alors maître incontesté de la pensée philosophique.

La connaissance a-t-elle accès à un domaine autre que le sensible ? Une représentation n’est-elle que simple image, reflet d’une réalité différente ? Peut-on pénétrer jusqu’à la réalité pure ? Si
oui, comment y parvenir ? – Ces problèmes, exposés dans Vérité et science, nous les retrouvons dans le présent ouvrage, mais développés avec l’assurance plus profonde qui résulte de
l’expérience acquise.

Pour Steiner, l’analyse du moi, et du penser qui s’y déroule, met en lumière l’artifice de ce que nous appelons la séparation entre le moi et le monde. Cette « dualité » n’est donc
qu’apparente en ce sens qu’elle est limitée à l’état où nos perceptions sensorielles, toujours fragmentaires au stade initial, ne sont pas encore réunies par l’action synthétisante de la pensée.
L’acte pensant rétablit l’unité originelle.

A vingt-deux ans, Steiner avait acquis la conviction « que l’homme participe à une réalité dont l’éloigne la conscience ordinaire ; il y participe à condition de passer de la pensée abstraite
courante à une vision spirituelle aussi claire et réfléchie que la pensée » (8).

La Philosophie de la Liberté est la justification philosophique de cette expérience (9).

*


La première partie du présent ouvrage fournit une description phénoménologique des phases successives de l’acte de connaissance (10). Il en résulte que la faculté d’entendement, le
penser, n’est pas moins perfectible que toute autre faculté latente de l’individu ; il suffit de l’éveiller et de l’exercer.

Dans la seconde partie, Steiner caractérise le réalisme moral et social consécutif à cette expérience possible de la pensée. Le réalisme exposé est celui de la liberté, mais d’une
liberté à conquérir. Car si la nature amène d’elle-même la plante et l’animal à leur plein épanouissement en tant qu’êtres, il en est autrement de l’homme. Les forces naturelles le conduisent
seulement jusqu’à un certain point, lui laissant la mission d’accomplir lui-même le pas décisif vers la liberté, de prendre conscience de son essence d’être libre.

*



La philosophie de la Liberté n’est pas un système au sens strict du terme. Sa structure peu orthodoxe est plutôt déconcertante. Aussi n’y a-t-il pas lieu d’être étonné, si cet ouvrage ne
trouva pas sa place dans le cadre rigide de la philosophie contemporaine. Comment classer une doctrine qui se veut « philosophie du réel » ? Par surcroît, la Philosophie de la Liberté traite de
la pensée comme d’une réalité expérimentale. En ceci elle allait à l’encontre du courant officiel qui, depuis Kant, évoluait dans le sens d’une discipline purement
spéculative.

Notre époque préfère la pensée liée à l’existence et aux valeurs humaines, la pensée engagée. Bergmann, dans une analyse de l’œuvre de Steiner, non seulement témoigne de cette ouverture nouvelle
et plus éclairée, mais fournit également une explication pertinente des motifs ayant conduit à la conspiration de silence qui a entouré la Philosophie de la Liberté. Il dit de Steiner
:

« Sa position est exceptionnelle en ce sens que son œuvre philosophique ne résulte pas seulement de préoccupations intellectuelles, mais encore qu’elle est issue et se fonde sur l’expérience
directe du monde de l’esprit. En Orient, il est normal qu’un grand penseur soit en même temps un grand yogi, et que son système ne soit pas engendré par la spéculation seulement, mais qu’il ait
son origine dans l’expérience immédiate du spirituel. A cela, la philosophie occidentale semble imperméable, d’où l’extrême méfiance des philosophes vis-à-vis de Steiner »
(11).

L’expérience directe du monde métaphysique, pourvu qu’elle soit vérifiable, n’est plus une contre-indication philosophique. Or c’est précisément ce que Steiner nous propose dans la
Philosophie de la Liberté : l’analyse d’une expérience vécue et exercée de la pensée, conduite selon la méthode d’investigation scientifique (12).

Ultime remarque et qui est en même temps un avertissement : à l’image de la liberté, cette œuvre n’est pas « donnée », elle est à conquérir !

Georges Ducommun.

—————————————–
NOTES
:
(1) Le sous-titre du présent ouvrage est pleinement significatif : «
Observations de l’âme conduites selon la méthode scientifique ».

(2) Lettre du 6 mars 1884, de Kürschner à Steiner, publiées dans Blätter für Anthroposophie,
Bâle, 3-1961.

(3) Principes d’une Epistémologie gœthéenne (Ed. Fischbacher,
Paris).

(4) Autobiographie (Editions Anthroposophiques Romandes, p. 29.

(5) Autobiographie, page 47.

(6) Autobiographie, page 62.

(7) Vérité et science, Editions Anthroposophiques Romandes.

(8) Autobiographie, page 81.

(9) « Mein nächstes Ziel war, rein
philosophisch die Grundlegung meiner Weltanschauung zu liefern ».
(Rudolf Steiner à Edouard Schuré, 1907).

(10) Par opposition à l’analyse spéculative de E. von Hartmann, souvent citée dans cet
ouvrage.

(11) Bergmann, professeur de philosophie à l’université de Jérusalem. Conférence
faite devant la Société de Philosophie, à l’occasion du centenaire de la naissance de Steiner. (Revue Die Drei, Stuttgart,
1-1962).

(12) Etant donné l’orientation expérimentale de La Philosophie de la Liberté, nous nous sommes
efforcés de conserver avec fidélité le caractère du texte original. La présente traduction a donc été faite aussi littéralement que possible, parfois même au détriment de la forme
littéraire.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s