« Lorsqu’on parle de « racisme », la plupart des gens ne pensent à rien d’autre qu’à l’antisémitisme ou bien au simple domaine anthropologique et biologique. Seuls quelques-uns ont une idée de la signification qu’une telle doctrine peut avoir du point de vue pratique et pédagogique – pour ne pas parler de son importance politique. Ici, toutefois, nous n’en dirons pas davantage qu’il n’est nécessaire pour la compréhension des idées que ce chapitre traite.
Il convient avant tout de noter que, dans le racisme moderne, la race n’est pas abordée dans le cadre de ces considérations générales selon lesquelles on parle, dans les manuels scolaires, de race blanche, jaune, noire et ainsi de suite. Bien au contraire, la race doit être conçue comme une unité plus élémentaire et plus « spécialisée » où, à l’intérieur de la race blanche – pour nous limiter à elle – et, par conséquent, de tous les peuples de race blanche, l’on considère que sont présentes et qu’agissent diverses races. En outre, ces races élémentaires sont définies en termes non seulement biologiques et anthropologiques, mais également psychologiques et spirituels. A chacune des composantes raciales correspondent des dispositions, des formes de sensibilité, des valeurs et des conceptions de l’existence elles-mêmes différenciées. (1)
Il n’existe pas, de nos jours, de nations ou de peuples civilisés composés d’individus purs d’une race unique. Tous les peuples sont désormais composés de mélanges, plus ou moins stables, de races. On passe du domaine de la théorie à celui de la pratique, au « racisme actif », lorsque l’on prend position en face des composantes raciales d’une nation donnée en ne leur reconnaissant pas indistinctement la même valeur, la même dignité et, surtout, le même droit à donner à l’ensemble un ton et une forme. A ce moment-là, un choix, une discrimination et une décision s’imposent : on donnera à l’une des composantes la prééminence en se référant aux valeurs typiques et à l’idéal humain qui y correspondent.
En ce qui concerne l’ensemble des peuples germaniques, on a été amené à attribuer à l’élément « nordique » ce rôle de race éminente par rapport aux autres auxquelles il était mêlé. Si l’on considère maintenant l’Italie, ce même rôle de force prééminente ayant un droit sur le reste fut attribué à l’élément « romain ».
A ce propos, nous pouvons reprendre ce que nous disions tout à l’heure.
A titre de prémisse, il faut absolument dépasser la frivole suffisance d’un certain nationalisme, selon lequel le simple fait d’avoir une même patrie et une même histoire derrière soi constituerait l’ultime critère : d’où cette habitude d’exalter sans discrimination et à n’importe quel prix tout ce qui est « nôtre ». En fait, comme dans toute grande nation historique – et l’Italie n’échappe pas à la règle -, en dépit d’une certaine uniformité du type courant, diverses composantes existent. Aussi est-il capital de ne se créer aucune illusion mais de reconnaître avec objectivité ce qui, tout en étant « nôtre », ne correspond guère à une vocation d’ordre supérieur. On le voit, c’est là une contrepartie à ce que nous avons appelé, dans le domaine politico-culturel, le « choix des traditions » (chap. VIII).
La création d’un Etat nouveau et d’une nouvelle civilisation sera toujours quelque chose d’éphémère tant que l’un et l’autre n’auront pas, à la base, un homme nouveau. Dans le cas de l’Italie, si ce problème devait être envisagé par un mouvement révolutionnaire-conservateur, la définition d’un tel type d’homme s’avèrerait difficile, et même problématique, en raison de la présence de composantes ethniques suspectes, d’inclinations chaotiques et anarchiques, de tares caractérielles, d’atavismes peu favorables et de vocations faussées.
Après cette mise au point quant au mythe de la latinité, il convient de porter maintenant notre attention sur un autre point, moins intellectuel toutefois et plus concret que la soi-disant « commune civilisation latine » : il s’agit de ce que l’on peut appeler l’élément « méditerranéen ». L’Italien oscille entre deux extrêmes constitués l’un par l’élément « romain », l’autre par l’élément « méditerranéen » : il s’agit de la limite supérieure et de la limite inférieure des possibilités que, d’une façon générale, il recèle en lui, et d’un héritage qui lui a été transmis à travers les siècles. Parvenir à une décision interne, favoriser une cristallisation et une formation de plus en plus nette dans la direction du premier de ces deux éléments : tel serait donc l’objectif à atteindre sur le plan tant individuel que collectif et politique. Cet objectif suppose une double analyse. D’un côté, il conviendrait de mettre clairement en lumière les traits de caractère et de style qui, indépendamment de toute forme d’expression liée au passé, peuvent être considérés comme typiques de la composante « romaine ». De l’autre, il faudrait préciser quelles sont les qualités les moins désirables du type « méditerranéen », elles aussi présentes (pour ne pas dire prédominantes) dans le complexe italien et voir, par conséquent, dans quelle mesure il est possible de les rectifier.
En ce qui concerne le premier point, on devrait être capable d’extraire de la romanité un contenu vivant, sans aucun rapport avec les encensements rhétoriques, les musées et les dissertations d’érudits, de façon à ce qu’il soit intelligible, même à un homme simple, sans faire appel à la « culture » et à l’histoire.
C’est la raison pour laquelle nous avons parlé d’« éléments de style » : il s’agit d’éléments à extraire de ce que l’on connaît de la tradition et des coutumes romaines, en sachant faire preuve de discrimination car – nous y avons déjà fait allusion en évoquant le monde dit classique – il y a romanité et romanité. A côté de la romanité des origines, qui exprime, sous une forme caractéristique et originale, un type de culture et de coutumes communes aux principales civilisations supérieures indo-européennes, il y en a une « hellénisée », au sens négatif du terme, il y en a une « punicisée », et d’autres encore : «cicéronienne », « asiatisée », « catholique », et ainsi de suite ! Ce n’est pas là que les points de référence doivent être cherchés, car ce qu’elles recèlent éventuellement de valable peut être, dans notre perspective, ramené à la première.
Cette romanité originelle eut pour base un type humain défini par un certain nombre de dispositions caractéristiques. Il convient, en premier lieu, de relever : un comportement maîtrisé ; une audace lucide ; un parler concis ; une action précise et cohérente autant que méditée ; un sens inné de l’autorité, étranger à toute vanité personnelle. Au style romain appartiennent la virtus, non pas au sens de la morale, mais de la virilité et du courage, c’est-à-dire comme fortitudo et constantia, la force d’âme ; la sapientia, au sens de réflexion et de savoir conscient ; la disciplina, de qui aime à se donner une loi et une forme propre ; la fides, au sens spécifiquement romain de loyauté et de fidélité ; la dignitas, laquelle, dans l’antique aristocratie patricienne, s’élevait jusqu’à la gravitas et à la solemnitas, à une solennité grave et mesurée (2). C’est également à ce même type qu’appartiennent : une action précise sans gesticulations ; un réalisme qui n’avait rien de matérialiste, mais signifiait l’amour de l’essentiel ; un idéal de clarté, qui ne devait se transformer en rationalisme que chez certains peuples latins ; un équilibre intérieur et une méfiance pour tout abandon de l’âme et tout mysticisme confus ; un amour de la limite ; une aptitude à s’unir sans se confondre en vue d’une fin supérieure ou pour une idée, comme des êtres libres. On pourrait y ajouter aussi la religio et la pietas, non pas au sens le plus récent de religiosité mais, chez le Romain, d’une attitude de vénération respectueuse et digne, et, en même temps, de confiance, de rattachement au suprasensible ressenti comme présent et agissant parmi les forces humaines individuelles, collectives et historiques. Bien évidemment, nous sommes loin de penser que de tels traits existaient chez tous les Romains – ils n’en constituaient pas moins, pour ainsi dire, la dominante : ils étaient la substance même de l’idéal que chacun ressentait comme spécifiquement « romain ».
Parallèlement, ces éléments de style ont un caractère d’évidence en eux-mêmes, ils ne sont pas liés au passé, ils peuvent à tout moment agir comme forces formatrices du caractère et valoir comme idéaux dès lors que se manifestent les vocations correspondantes. Ils ont une valeur normative et, dans la pire des hypothèses, de mesure. Par ailleurs, il n’y a pas lieu de penser qu’ils devraient être adoptés par tout un chacun : ce serait absurde et, du reste, ne répondrait à aucune nécessité. Il suffirait qu’une certaine catégorie d’individus, tenus de donner le ton aux autres à travers le pays, en soient la vivante incarnation.
Ceci posé, il convient de définir maintenant l’autre pôle, c’est-à-dire les éléments propres au style « méditerranéen ».
Au sens où nous l’employons, l’expression « méditerranéen » demande quelques éclaircissements. On a fréquemment parlé de civilisation, d’esprit, et même de race, méditerranéens, sans se préoccuper outre mesure de dire ce que l’on entendait exactement par de telles appellations, aussi vagues qu’élastiques (3). « Méditerranéen » désigne simplement un espace, une aire où se sont rencontrées, ou entrechoquées, des cultures, des forces spirituelles et raciales très différentes sans qu’elles se soient jamais fondues en une civilisation unique. Dans le domaine de l’anthropologie, le mythe « méditerranéen » fut lancé au siècle dernier par Giuseppe Sergi : celui-ci soutenait l’existence d’une race méditerranéenne d’origine africaine à laquelle auraient appartenu de nombreuses populations italiques mais également les Pélasges, les Phéniciens, les Levantins (4) et d’autres races semi-sémitiques : parentés peu flatteuses auxquelles convient parfaitement l’expression de « fraternités bâtardes » utilisée, jadis, par Mussolini à propos du mythe de la latinité. Cette théorie de Sergi est maintenant totalement dépassée. Nous avions nous-mêmes cru opportun d’utiliser le terme « méditerranéen » uniquement pour désigner certaines composantes ethniques et spirituelles suspectes, lesquelles, outre le fait qu’elles sont présentes dans d’autres peuples méditerranéens et « latins » plus ou moins mêlés, se retrouvent également dans de nombreuses strates du peuple italien, s’opposant au noyau originel et plus noble de celui-ci, lequel, reflet de l’élément « romain », n’a rien de « méditerranéen ».
Certains psychologues ont tenté de définir le type méditerranéen non pas tant du point de vue anthropologique qu’en termes de caractère et de style (5). Or, il n’est pas difficile de reconnaître, dans les descriptions qu’ils en ont faites, l’autre pôle de l’âme italienne – aspects négatifs que la substance italienne recèle aussi et qui, si l’on se consacrait au travail de sélection auquel nous faisions allusion, devraient être rectifiés en elle.
En premier lieu, est « méditerranéen » le goût de l’extériorité et de la gesticulation. Le type méditerranéen a besoin d’une scène, sinon au sens le plus inférieur de vanité et d’exhibitionnisme, du moins au sens que son engagement et son enthousiasme (même pour des choses nobles, dignes d’intérêt, sincères) procèdent souvent d’un rapport avec ceux qui le regardent, et la préoccupation de l’effet qu’il fera sur eux joue un rôle non négligeable dans sa conduite. D’où, précisément, cette inclination au « geste », c’est-à-dire à donner à son action des caractéristiques qui attirent l’attention sur elle et la mobilise – même quand celui qui agit sait pertinemment qu’il n’a que lui-même comme spectateur. Chez l’homme méditerranéen existe, par conséquent, un certain dédoublement entre un « Moi » qui exécute le rôle et un « Moi » qui le regarde du point de vue d’un spectateur ou d’un observateur éventuel, et s’y complaît : plus ou moins comme le fait l’acteur. (6)
Répétons-le : nous parlons uniquement ici du style – l’action ou l’œuvre entreprise pouvant avoir en elle-même une valeur effective. Or, c’est là un style bien peu romain : c’est le signe d’une décadence et d’une altération, c’est l’antithèse même de l’antique maxime de l’esse non haberi, du style en raison duquel on put, entre autres, appeler l’antique civilisation romaine : la civilisation des héros anonymes. Dans une perspective plus vaste, on pourrait formuler cette opposition de la façon suivante : le style romain est monumental, monolithique, alors que le style méditerranéen est chorégraphico-théâtral, spectaculaire (que l’on pense, en parallèle, aux concepts français de la grandeur et de la gloire).
C’est la raison pour laquelle, si cette composante méditerranéenne du peuple italien venait à être rectifiée, le meilleur modèle serait justement celui offert par l’antique race de Rome : ce style sobre, sévère, actif, étranger à tout exhibitionnisme, mesuré, fait d’une sereine conscience de sa propre dignité. Posséder le sens de ce que l’on est et de sa propre valeur indépendamment de toute référence extérieure ; aimer aussi bien la distance que les paroles et les actes qui se réduisent à l’essentiel, dénués de toute mise en scène et de tout souci de faire de l’effet – tous ces éléments sont absolument fondamentaux pour la formation éventuelle d’un type humain supérieur. Et si l’homme méditerranéen et l’individu italien ont en commun ce dédoublement (d’acteur et de spectateur) auquel nous faisions allusion, celui-ci pourrait être utilisé en vue d’une surveillance attentive de sa propre conduite et de ses propres expressions surveillance qui préviendrait toute réaction instantanée impulsive et étudierait l’expression elle-même, non pas en fonction de 1?« impression » produite sur les autres et de leur opinion, mais bien du style que l’on entend se donner à soi-même.
Le goût de l’extériorité s’associe facilement à un égotisme qui dégénère en individualisme. Il s’agit, là encore, d’un aspect négatif caractéristique de l’âme « méditerranéenne » : la tendance, précisément, à un individualisme fébrile, chaotique et indiscipliné. Sur le plan politique, il s’agit de la tendance qui, prenant le dessus, conduisit à la ruine les états-cités de la Grèce en fomentant luttes et rivalités fratricides – tout en ayant jadis contribué positivement à leur formation nettement articulée.
C’est elle que nous retrouvons pendant la période trouble du Bas-Empire ; elle aussi, enfin, qui se manifesta dans l’Italie médiévale sous forme de particularismes, schismes, luttes, factions et rivalités en tous genres. Et si la Renaissance italienne brille, sous certains aspects, de tous ses feux, elle a aussi ses zones d’ombre qui procèdent précisément de cet individualisme « méditerranéen », rétif à toute loi et à tout ordre sévère, gaspillant des possibilités souvent précieuses en des positions purement personnelles et dans les feux d’artifice d’une créativité dissociée de toute signification supérieure comme de toute tradition. Ici, c’est l’auteur, plus que l’œuvre, qui occupe la position centrale.
C’est ainsi que, si nous descendons d’un cran, la même composante « méditerranéenne » se retrouve dans le type contemporain de l’individu soi-disant génial : celui qui critique pour le plaisir, toujours prêt à affirmer une thèse et son contraire afin de se mettre en vedette, expert à trouver un moyen pour tourner un obstacle ou se soustraire à une loi. Si l’on descend encore d’un cran, cela devient la malice, la fourberie (l’aptitude à « rouler » l’autre) qui, pour ce type humain, sont quasiment synonymes d’intelligence et de supériorité – alors que l’homme de type « romain » ressentirait cela comme une dégradation, une perte de sa propre dignité. Nous avions déjà évoqué ceci à propos de l’épisode relatif à la légende de Faust.
A la simplicité ou sobriété « romaine » de la parole, de l’expression et du geste, s’opposent l’exubérance gesticulatoire, bruyante et désordonnée du type « méditerranéen », sa manie de la communicativité et de l’expansivité, son peu de sens de la distance, de la hiérarchie et de la subordination sans phrases. Comme contrepartie de tels traits caractéristiques, on a souvent une pauvreté du caractère, une disposition à s’enflammer, à se saoûler – et à saoûler les autres – de simples mots, un « espagnolisme » au pire sens du terme : verbosité, sens ostentatoire et convenu de l’honneur, susceptibilité, souci des apparences sans grand contenu. Alors que ce que l’on a pu dire à propos de l’antique type aristocratique espagnol : pobre en palabras pero en obras largo (« pauvre de paroles mais riche d’actions », à rapprocher de la maxime de Moltke : «Parler peu ; faire beaucoup ; être, plus que paraître »), se situe dans le droit fil du style « romain ».
Avec ce que L.F. Clauss a appelé la « race désertique » dans sa classification psycho-anthropologique (et, sans doute, comme effet de la présence en lui d’une telle race) l’homme « méditerranéen » a souvent en commun un tempérament aussi violent et explosif que changeant et lié à l’instant : des coups de tête, une instantanéité et une véhémence du désir ou de l’affectivité dans sa vie passionnelle ; des intuitions sans lendemain dans le domaine intellectuel. Un style psychiquement équilibré et mesuré n’est pas son fort. Alors qu’en apparence, surtout lorsqu’il est en compagnie, il semble joyeux, enthousiaste et optimiste, lorsqu’il est seul l’homme « méditerranéen » est en réalité sujet à des abattements imprévus, il découvre en son for intérieur des perspectives sombres et désespérées qui lui font fuir avec angoisse la solitude et le poussent à nouveau vers l’extériorisation, vers une sociabilité bruyante, vers les effusions et le passionnel.
Une fois ces constatations faites, il est bien évident que, dans l’hypothèse d’une tentative de rectification, il ne suffirait pas de procéder par simples antithèses. La phrase de Nietzsche, « Je mesure la valeur d’un homme à sa capacité de retarder ses propres réactions », peut certes servir de principe général pour combattre l’impulsivité désordonnée et la tendance à « exploser ». Mais Nietzsche lui-même a mis en garde contre une morale qui viserait à dessécher ainsi qu’à rigidifier toute impétuosité de l’âme. La capacité de se contrôler, la continuité dans les sentiments et dans la volonté ne doivent pas conduire à un desséchement et à une mécanisation de l’être – tels qu’ils apparaissent dans certains aspects négatifs de l’homme d’Europe Centrale ou de l’anglo-saxon. Il n’est pas question de supprimer la capacité de se passionner, de donner à l’âme une forme qui soit belle, contrôlée et homogène, mais plate ! Il s’agit, au contraire, d’organiser d’une façon intégrale son propre être, c’est-à-dire d’être capable de reconnaître, de faire un choix et d’utiliser de façon adéquate les élans et les éclairs qui jaillissent du plus profond. Que la passion joue un rôle prépondérant chez de nombreux types italiens « méditerranéens », c’est là un fait incontestable, mais cette disposition peut se révéler non pas comme un défaut mais comme un enrichissement, si elle est corrigée par une vie organisée sur des bases saines.
Le sentimentalisme est, lui, un élément plus nettement négatif chez le type « méditerranéen ». Il convient de distinguer ici le sentimentalisme du sentiment vrai, le premier étant une sclérose rhétorique du second, mais c’est justement le premier qui joue un rôle prépondérant dans de nombreuses expressions typiques de l’âme « méditerranéenne ». Comme exemple, on pourrait citer toute une liste de chansons à l’eau de rose d’hier et d’aujourd’hui : le succès et l’écho qu’elles rencontrent dans l’âme populaire, en dépit de tout ce qu’elles contiennent de profondément artificiel, sont éloquents.
On a prétendu que l’homme « méditerranéen » serait enclin à s’ériger en son propre défenseur, exactement comme l’homme « nordique » serait au contraire porté à s’ériger en son propre juge. Le premier serait toujours plus indulgent avec lui-même qu’avec les autres et incapable d’examiner d’une façon claire et objective les coulisses de sa vie intérieure. Cette antithèse est quelque peu unilatérale. D’une façon générale, il n’est pas besoin de souligner les dangers inhérents à une introspection maladive – nous pensons ici à la parenté qui relie la psychanalyse et la psychologie des héros dostoïevskiens à certains complexes de culpabilité ou d’angoisse existentielle. Un style de sincérité et de simplicité, surtout vis-à-vis de sa propre intériorité, n’en est pas moins essentiel dans le cas d’un type humain supérieur, comme ne l’est pas moins le précepte d’être sévère avec soi-même mais compréhensif et cordial avec les autres. A cet égard, si des corrélations spécifiques avec le facteur racial subsistent, ce n’est que partiellement.
Ce qu’il convient de considérer, c’est plutôt l’importance que revêtent, pour le style « méditerranéen », les affaires du sexe.
La sexualisation de la morale, d’une part, et le fait que la femme et l’érotisme soient quasiment devenus des idées fixes, d’autre part, ne doivent certes pas être considérés comme une exclusivité méditerranéenne – le deuxième point devant plutôt être envisagé comme un phénomène général inhérent à toute civilisation dégénérescente. Toutefois, on ne peut pas nier les résultats d’une telle inclination sur le type « méditerranéen » et « méditerranéo-méridional » par opposition à tout ce qui relève de l’éthique « romaine » dans ce qu’elle eut de meilleur, éthique qui donna à la femme et à l’amour en général leur juste place ni trop en haut, ni trop en bas – et sut montrer en exemple les valeurs réellement fondamentales, nécessaires à une éducation claire et virile du caractère et de l’existence, sans moralisme puritain (7). D’une façon générale, les relations entre les sexes sont loin de se présenter en Italie d’une façon satisfaisante. « Tempérament » méridional, avec son primitivisme et son type au goût du jour du latin lover, d’une part ; subsistance d’un régime de préjugés bourgeois dont procèdent hypocrisies, inhibitions, conventionalismes et, parallèlement, une certaine perversion de quatre sous typiquement contemporaine, d’autre part – tout cela est bien éloigné d’une attitude claire, sincère, libre et courageuse. Mais ce thème demanderait un chapitre particulier dont ce n’est pas ici le lieu (8) car il est lié à des problèmes d’ordre plus général que celui de la simple caractérologie « méditerranéenne ».
Il est bon de répéter, une fois l’opposition entre ces deux éléments de style brièvement esquissée, qu’il s’agit là de deux lignes de démarcation. Les qualités de type « romain » représentent la limite positive de dispositions latentes qui existent chez les meilleurs éléments de notre race, tout comme les qualités définies comme « méditerranéennes » correspondent à la limite négative et à sa part la moins noble – lesquelles se retrouvent également dans les composantes d’autres peuples, surtout du groupe « latin ».
C’est pourquoi il faut prendre conscience sans se voiler la face que si, trop souvent, on a considéré comme typiquement italiens (surtout à l’étranger) des comportements proches de la « limite méditerranéenne », c’est précisément cette composante qui semble désormais prédominer, depuis la Seconde Guerre mondiale, dans la vie italienne en général.
Mais une démarche dans une direction contraire ne serait pas inconcevable si certaines conditions se trouvaient réunies. De toute façon, nous avons vu que cela seul pouvait constituer la prémisse d’un Etat nouveau et d’une société nouvelle – étant hors de doute que tout programme, formule ou institution, quels qu’ils soient, ne servent pas à grand-chose tant que n’y correspond pas, au moins chez une élite dirigeante, une substance humaine donnée. Chez tout homme sont en même temps présentes, aujourd’hui, en principe, diverses possibilités dont certaines proviennent d’un héritage primordial. Tandis que c’est dans les heures les plus hautes de notre histoire que nous reconnaissons la composante aryo-romaine, dans les périodes de crise et d’obscurcissement on peut, au contraire, distinguer la résurgence et la primauté de celle que nous avons conventionnellement qualifiée de « méditerranéenne ». Conventionnellement car, au fond, il s’agit plutôt soit de scories et de résidus « méditerranéens », d’influences de races non indo-européennes quasiment privées d’histoire, soit du produit de scléroses et d’« érosions» ethniques.
Dans une œuvre de rectification et de formation, le rôle fondamental sera toujours joué par le mythe politique, au sens sorélien d’idée-force galvanisante. Le mythe réagit sur l’ambiance générale en faisant intervenir la loi des affinités électives : il éveille, libère et met en valeur les possibilités individuelles et celles du milieu qui y correspondent, tandis que les autres sont réduites au silence ou neutralisées. La sélection peut s’effectuer également à rebours, en fonction de la nature du mythe. C’est ainsi que le mythe communiste – et, jadis, le mythe démocratique – ont pu faire appel à ce qu’il y a de plus hybride et de plus dégradé dans l’homme d’aujourd’hui et que c’est à la mobilisation d’un tel type humain (en inhibant chez lui toute autre possibilité et sensibilité supérieures) que, politiquement, ils doivent leurs succès.
Si l’on s’attelait à une telle œuvre de rectification, il va de soi qu’il ne faudrait pas en attendre des résultats concrets du jour au lendemain. Outre la condition à laquelle nous avons fait allusion (constituée par la présence d’un mythe politique capable de donner naissance à un climat et à un type humain bien déterminés), une action continue et de longue haleine serait nécessaire, plus forte que les rechutes et que l’éventuelle résurgence des possibilités contraires. Comme chacun sait, on a tenté hier, en Italie, d’agir en ce sens, l’exigence la plus sérieuse (dont seule une minorité avait saisi l’importance) consistant précisément à ramener toujours davantage une Italie « méditerranéenne » vers une Italie « romaine ». Si l’on ne s’était pas limité au simple domaine des intérêts politiques, l’adéquate et complémentaire contrepartie de tout ceci aurait pu être le détachement des « sœurs latines » qui, de pair avec un rapprochement du peuple allemand, s’était amorcé.
Il va sans dire qu’étant donné le climat actuel de l’Italie, avec sa vision démocratique étriquée et son intoxication marxiste, proposer, aujourd’hui, à nouveau une telle tâche serait purement utopique. Ceci n’enlève évidemment rien à sa valeur intrinsèque et normative comme à celle d’autres idées, elles aussi « inactuelles » – inactualité qui ne disparaîtra qu’à la faveur d’une fracture et d’une réaction radicale, lesquelles se manifestent assez fréquemment en termes quasiment organiques en marge de processus de dissolution. »
Julius Evola, « Les hommes au milieu des ruines », Latinité – Romanité – Âme méditerranéenne, (II).
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Notes :
1. Nous avons nous-mêmes contribué au développement, dans cette direction, d’une doctrine de la race qui ne se limite pas au seul facteur biologique en faisant valoir, au-delà de la race physique, les concepts de « races de l’âme » et de « races de l’esprit ». Cf. Sintesi di dottrina della razza, Hœpli, Milan, 1941. C’est dans la même direction qu’en Allemagne un L.F. Clauss a surtout orienté ses recherches.
2. Tels sont les éléments de style mis en évidence par H.F.K. Günther, Lebensgeschichte des romischen Volkes, Piihl, 1957.
3. Dans l’un de nos premiers essais (Imperialismo pagano;’ Atanor, Todi, Rome, 1928) nous avons nous-mêmes parlé de « tradition méditerranéenne ». Ce que nous entendions exactement par là devait être précisé dans nos ouvrages postérieurs, tout particulièrement dans Révolte contre le monde moderne. Dans l’édition allemande de ce livre, déjà, cette appellation avait disparu.
4. A propos de mythes erronés, on peut rappeler que Gioberti s’était laissé aller à soutenir la primauté de la race italienne en partant du fait que, selon lui, celle-ci aurait été une « noble descendante des Pélasges ». En réalité, les Pélasges furent des populations méditerranéennes archaïques dégénérescentes et, par conséquent, étrangères à celles qui, plus tard, furent à l’origine des civilisations hellénique et romaine.
5. La contribution la plus remarquable en ce domaine a été donnée par L.F. Clauss, déjà cité (voir en particulier Rasse und Seele, Munich, 1937). Dans ce qui va suivre, nous nous inspirerons fréquemment de sa typologie en l’intégrant parmi celles d’autres auteurs. Dans ce type de recherches, on notera que l’on parle souvent d’ » homme occidental» ou « de l’Ouest» (Westiche Rasse), dont la signification est plus ou moins équivalente à celle de « méditerranéen ».
6. A cet égard, le « dannunzisme » constitue un des phénomènes les plus caractéristiques de ce trait du style méditerranéen, si l’on n’y considère pas seulement l’aspect artistique mais le style bien particulier et reconnaissable dont tout ce que Gabriele d’Annunzio entreprit, y compris comme soldat et comme chef, porte le sceau.
7. Cf. V. Pareto, Le mythe vertuiste, Paris, 1911, p. 166: «De nombreux auteurs sont induits en erreur à propos de la romanité parce qu’ils ne distinguent pas suffisamment trois choses extrêmement différentes: le vertuisme, la tempérance, la dignité. Les Romains ignoraient la première, tenaient en grande estime la seconde et en plus grande estime encore la troisième ».
8. En ce domaine, on pourra se reporter à notre ouvrage Chevaucher le Tigre 2, Paris, 1982.