ARGILEONIS
Argiléonis, la mère de Brasidas, après la mort de son fils [à la bataille d’Amphipolis, en 422], demanda à une délégation d’Amphipolis qui se trouvait à Sparte et qui était venue lui rendre
visite si la mort de son fils avait été glorieuse et digne de Sparte. Les gens d’Amphipolis glorifièrent Brasidas et dirent qu’il était de tous les Lacédémoniens le meilleur dans l’art de la
guerre. Elle leur répondit : « Étrangers, mon fils était un homme d’honneur et de bien, mais Lacédémone en possède beaucoup de meilleurs que lui. »
* * *
GORGÔ [fille de Cléomène et épouse de Léonidas]
Gorgô, la fille du roi Cléomène [370-309]. Aristagoras de Milet suppliait son père de déclarer la guerre au roi de Perse pour venir en aide aux Ioniens. Il promettait une grosse somme d’argent et
augmentait cette somme au fur et à mesure que Cléomène élevait des objections. « Il va te ruiner, mon père, dit Gorgô, cette espèce d’étranger, si tu ne le jettes pas assez vite hors de cette
maison ! »
Comme son père lui demandait un jour de donner du blé en récompense à quelqu’un en ajoutant : « C’est parce qu’il m’a appris à améliorer le vin », elle répondit : « Eh bien alors, on consommera
davantage de vin et ceux qui en boiront deviendront plus délicats et plus mauvais !
Voyant Aristagoras se faire chausser par l’un de ses serviteurs, elle s’écria : « Père, l’étranger n’a pas de mains ! »
Un étranger marchait mollement et en prenant son temps, elle le bouscula en disant : « Ne reviens pas ici, tu n’es même pas capable d’y jouer un rôle de femme ».
A la question d’une Athénienne : « Comment se fait-il que vous soyez les seules femmes, vous les Spartiates, à commander les hommes ? », elle répondit : « parce que nous sommes aussi les seules à
donner naissance à des hommes ! »
Comme elle encourageait son mari Léonidas qui partait pour les Thermopyles à se montrer digne de Sparte, elle lui demanda ce qu’il fallait qu’elle fasse. Il lui répondit : « Épouser un homme
honorable et mettre au monde des enfants honorables. »
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GYRTIAS
Gyrtias. Un jour qu’Acrotatos, son petit-fils, avait reçu de nombreux coups dans une de ces batailles d’enfants et avait été ramené chez lui comme mort, comme toute la maisonnée et toutes les
connaissances étaient en pleurs, Gyrtias s’écria : « Allez-vous vous taire ? il vient de montrer de quel sang il était ! » et, ajouta-t-elle, il ne faut pas se lamenter sur les gens honorables,
mais les soigner.
Lorsqu’un messager vint de Crète apporter la nouvelle de la mort d’Acrotatos, elle dit : « Ne fallait-il pas qu’arrivé devant les ennemis, il soit tué par eux ou qu’il les tue ? Il est plus
agréable d’apprendre qu’il est mort d’une manière digne de moi, de sa cité et de ses ancêtres que d’imaginer qu’il ait pu vivre longtemps de manière indigne ».
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DAMATRIA
Damatria avait appris que son fils s’était montré lâche et indigne d’elle : elle le tua quand il revint. Voici son épitaphe :
Damatrios avait contrevenu à nos lois, sa mère le tua,
Elle, la Spartiate, lui, le Spartiate.
SPARTIATES ANONYMES
Une autre Spartiate, jugeant indigne de sa patrie son fils qui avait abandonné son poste, le tua en disant : « ce rejeton n’est pas de moi ». Voici son épitaphe :
Meurs, vil rejeton, va par les ombres, par dégoût de toi
L’Eurotas ne coule plus pour les cerfs poltrons ;
Dépouille de chien inutile, mauvaise graine, meurs et va chez Hadès,
Meurs, ce qui n’était pas digne de Sparte, je ne l’ai pas mis au monde !
Une autre qui venait d’apprendre que son fils était tombé sur le champ de bataille dit :
Que les lâches soient pleurés
; moi, mon fils, sans te pleurer
Je te mets au tombeau, toi qui es à moi, toi qui es aussi à Sparte.
Une femme qui avait appris que son fils avait échappé au danger en fuyant les ennemis lui écrivit : « il court sur toi une fâcheuse rumeur, soit donc tu y mets un terme, soit tu cesses de vivre
».
Une autre, comme ses fils s’étaient enfuis de la bataille et arrivaient devant elle, leur dit : « Où venez-vous après votre désertion, espèce d’esclaves, avez-vous l’intention de vous enfoncer de
nouveau à l’endroit d’où vous êtes issus ? » et joignant le geste à la parole, elle retroussa son vêtement.
Une femme voyant son fils venir vers elle, lui demanda : « Comment va notre patrie ? » Et comme il répondait : « Tous ont péri », elle ramassa une brique, le frappa et le tua, en disant : « Alors
c’est toi qu’ils ont envoyé nous porter la mauvaise nouvelle ? »
Un homme racontait à leur mère la mort glorieuse de son frère. « Alors tu devrais avoir honte, lui dit-elle, d’avoir laissé passer l’occasion de l’accompagner dans un si beau voyage !
»
Une femme avait envoyé ses fils (elle en avait cinq) à la guerre. Elle se tenait aux abords de la cité dans l’attente du résultat de la bataille. Elle interrogea quelqu’un qui arrivait et qui lui
apprit que tous ses enfants étaient morts. « Ce n’est pas ce que je te demandais, espèce d’esclave, lui dit-elle, je te demandais comment allait notre patrie ». L’homme dit que Sparte était
victorieuse. « Alors je suis heureuse, lui dit-elle, même au prix de la mort de mes enfants ».
Une Spartiate mettait son fils au tombeau lorsqu’une femme du commun s’approcha et lui dit :
– Ma pauvre, quel malheur
!
– Pas du tout, au nom du ciel, rétorqua-t-elle, quel bonheur ! ce pour quoi je l’avais mis au monde, qu’il meure
pour Sparte, cela vient de m’être accordé.
Une femme d’Ionie faisait grand cas d’un tissu de valeur qu’elle avait tissé elle-même. Une Spartiate lui montra ses quatre fils qui étaient de beaux garçons et lui dit : « Voilà l’ouvrage qui
convient à une femme convenable et honorable, un ouvrage qui la grandit et dont elle peut se flatter ».
Une autre qui avait entendu dire que son fils menait à l’étranger une vie peu convenable lui écrivit : « Il court sur toi des rumeurs peu convenables : tu y mets fin ou tu cesses de vivre
».
Dans le même genre : des exilés de Chios étaient venus à Sparte et portèrent de nombreuses accusations contre Paedaretos [général spartiate pendant la guerre du Péloponnèse]. Sa mère Teleutia les
convoqua et écouta leurs griefs. Quand elle fut sûre que son fils était en faute, elle lui envoya la lettre suivante : « A Paedaretos, de sa mère : agis mieux ou reste là-bas en renonçant à
l’espoir de revenir sain et sauf à Sparte ».
Une autre dit à son enfant qui allait être jugé pour un manquement à la loi : « Mon fils, libère-toi de cette accusation ou libère-toi toi-même de la vie »
Une autre, qui mettait son fils boiteux sur le chemin du champ de bataille lui dit : « Mon fils, à chaque pas souviens-toi de ton courage »
Une autre, dont le fils était revenu de bataille blessé au pied et souffrait beaucoup, lui dit : « Mon fils, si tu gardes en mémoire ton courage, tu ne souffriras plus et tu reprendras confiance
en toi »
Un Spartiate, blessé à la guerre et incapable de marcher, se déplaçait à quatre pattes. Honteux d’être ridicule, il s’attira cette réflexion de sa mère : « il vaut bien mieux, mon fils, te
réjouir de ton courage plutôt que de rougir d’éclats de rire stupides ! »
Une autre dit comme encouragement à son fils en lui remettant son bouclier : « Mon fils, tu le rapportes ou tu reviens dessus. » Mater Lacania clupeo obarmans filium : Cum hoc, inquit, aut in hoc
redi.
Une mère lacédémonienne armait son fils du bouclier :
« Reviens avec ou dessus ! » lui
dit-elle.
Ausone, Épigrammes, 25.
Une autre remit son bouclier à son fils qui partait à la guerre en disant : « ce bouclier, ton père a su le conserver pour toi : alors toi, ou bien tu sais le conserver ou bien tu cesses de vivre
».
Une autre répondit à son fils qui disait avoir une épée bien courte : « ajoute-lui la longueur d’un pas ! »
Une autre à qui on annonçait que son fils était mort en combattant courageusement dans une bataille déclara : « Il était bien de moi ». Mais apprenant que son autre fils qui s’était comporté en
lâche était sain et sauf, elle dit : « C’est qu’il n’était pas de moi ».
Une autre qui venait d’apprendre que son fils était mort à la bataille sans quitter son poste dit : « Laissez-le et que son frère occupe le poste qu’il laisse vacant ».
Un autre qui était en train de mener une procession officielle, apprit que son fils avait remporté la victoire sur le champ de bataille, mais qu’il était mort des nombreuses blessures qu’il avait
reçues. Sans même enlever sa couronne, mais avec un air orgueilleux, elle déclara aux femmes qui étaient près d’elle : « Combien il est plus beau, mes amies, de mourir pour avoir vaincu sur le
champ de bataille que de vivre en ayant remporté une victoire olympique ! »
« Un homme racontait à sa soeur la noble mort de son fils. Elle lui dit : « autant je suis heureuse pour lui, autant je suis peinée pour toi qui pouvais partir en si bonne compagnie.
»
A une Spartiate, quelqu’un fit demander si elle accepterait de se laisser séduire. Elle répondit : « quand j’étais enfant, j’ai appris qu’il fallait que j’obéisse à mon père, et je l’ai fait ;
quand je suis devenue femme, mon mari a remplacé mon père ; si donc ce que tu me demandes est convenable, adresse-toi d’abord à lui ».
Une jeune fille pauvre à qui l’on demandait ce qu’elle apporterait en dot à qui l’épouserait répondit : « les vertus de ma famille ».
Une Spartiate à qui on demandait si elle avait fait les premiers pas vers son mari répondit : « ce n’est pas moi, c’est mon mari qui les a faits ».
Une fille qui avait été violée et qui n’avait rien dit tua l’enfant qu’elle portait. Elle fit preuve d’un tel courage en ne poussant pas un seul cri qu’elle accoucha sans que ni son père ni ceux
qui se trouvaient à proximité n’entendissent rien. Le fait de confronter son déshonneur à son honneur l’emporta sur la douleur physique, pourtant considérable.
Une Spartiate, vendue comme esclave à qui l’on demandait ce qu’elle savait, répondit : « Être fidèle ».
Une autre, prise à la guerre à qui l’on demandait quelque chose d’approchant, répondit : « Bien tenir ma maison ».
Une autre, à qui quelqu’un demandait si elle se conduirait bien au cas où il l’achèterait, lui dit : « Même si tu ne m’achètes pas ! »
Une autre que l’on mettait en vente et à qui le crieur demandait ce qu’elle savait répondit : « Être libre ». Or, quand son acheteur lui demanda de faire quelque chose qui ne convenait pas à une
femme libre, elle lui dit : « Tu vas regretter d’avoir perdu par ta seule mesquinerie un bien d’une telle valeur », et elle se suicida.
Plutarque n’entend pas « quelque chose d’inconvenant », mais « quelque chose qui selon elle n’était pas convenable… ».
Plutarque
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